Loin du périph : Tu représenteras négativement les dominants

En 2020, la rédaction du New York Times a annoncé qu’elle utiliserait un B majuscule pour écrire le mot Black (noir) mais un w minuscule pour white (blanc). Symptomatique du nouveau double standard, dans lequel on lutte sans relâche contre tout ce qui pourrait de près ou de loin véhiculer des stéréotypes néfastes sur les minorités ethniques tout en encourageant les généralisations négatives sur les Blancs. Dans le monde de la culture, le terme « blanc » est de plus en plus souvent employé de façon péjorative.
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Tu représenteras négativement les dominants@designernolimits

Dans le film Loin du périph, sorti en 2022 sur Netflix, Omar Sy joue le rôle d’Ousmane, un policier parisien traité avec condescendance par ses supérieurs racistes. Une enquête le mène jusqu’à une petite ville de province peuplée uniquement de Blancs et tenue par un maire d’extrême droite qui refuse de lui serrer la main. À peine arrivé, il se fait violemment agresser par un raciste. Quelques heures plus tard, des vandales inscrivent sur sa voiture « Dehors les nègres et les PD ». Il découvre ensuite un gymnase dans lequel des dizaines de skinheads néonazis s’entraînent au combat. Il comprend peu à peu que les habitants de cette ville sont membres d’une redoutable mafia qui fabrique et vend de la drogue. Les policiers locaux sont complices. Ousmane poursuit courageusement son investigation.

La vérité est pire que tout ce qu’il avait pu imaginer. La drogue que s’échangent les habitants est celle que prenaient les nazis pour pouvoir se battre plus longtemps et plus efficacement. La ville prépare une insurrection armée contre les Noirs et les Arabes de France. À la fin du film, Ousmane empêche de justesse une attaque terroriste sur un centre de migrants. Tous les habitants de la ville sont-ils fascistes ? Non. Une jeune policière aide Ousmane ; il tombe amoureux d’elle. Avant de découvrir… qu’elle était complice de la milice fasciste. Dans le film, le seul personnage blanc qui n’est pas un terroriste d’extrême droite (joué par Laurent Lafitte) est un benêt.

Pourquoi cette injonction à répandre des stéréotypes négatifs sur les groupes perçus comme dominants ? Évoquons trois pistes.

Ce type de représentations éveille les spectateurs à la (prétendue) difficulté d’être une minorité en Occident, légitime les combats wokes, « démontre » la nécessité d’une action radicale en faveur de la justice sociale.

Dans sa critique de Get Out, la journaliste Aja Romano écrivait : « Jordan Peele utilise les codes de l’horreur pour montrer aux spectateurs ce qu’est le quotidien des hommes et des femmes noirs. »

Première piste

En particulier, il faut que le cinéma ne puisse pas servir d’antidote au wokisme. Nous l’avons dit, la fiction peut montrer – par le particulier – que les êtres humains sont toujours plus complexes et nuancés que les abstractions érigées par les discours idéologiques. Elle peut remettre en cause l’essentialisation des déterminismes en identités oppressives ou victimaires : il n’existe pas d’essence liée à une couleur de peau, il n’y a que des individus singuliers aux personnalités variées et aux destins contrastés. Pour ne pas discréditer le narratif militant, les personnages doivent donc correspondre aux stéréotypes centraux de la matrice intersectionnelle : le Blanc doit être un oppresseur, le non-Blanc une victime.

Ce manichéisme woke cache peut-être quelque chose de plus trouble. Dès 1983, Pascal Bruckner décelait un nouvel ethnocentrisme – un nouveau narcissisme – dans la volonté de l’homme blanc de s’arroger le monopole du mal. Il s’opposait au discours tiers-mondiste, qui tenait l’Occident pour responsable de tous les problèmes des pays en voie de développement, déniant à ces États la capacité d’être autre chose que les victimes passives de complots fomentés par le tout-puissant monde blanc. On pourrait arguer que la logique tiers-mondiste est plus vivante que jamais, mais a changé d’objet : elle porte non plus sur les dynamiques entre pays mais sur celles entre individus au sein des mêmes sociétés. Avec, en filigrane, toujours la même exaltation des Blancs, dotés cette fois d’une exceptionnelle capacité à persécuter, à répandre le mal, et toujours la même condescendance à l’égard des non-Blancs, éternels sujets de la résolution d’autrui. Tout cela conduit à une hypothèse provocatrice : les militants wokes ont raison, il y a bien persistance en Occident des mentalités qui jadis motivaient la colonisation, sauf que ce sont leurs idées qui portent cette persistance.

Deuxième logique

les intellectuels wokes considèrent que les Blancs ne peuvent être victimes de racisme, ce qui autorise toute forme de représentations avilissantes. Le sociologue Éric Fassin s’interroge :

« Quand bien même on me dirait “Sale Blanc”, est-ce qu’on a besoin d’appeler ça du racisme ? »

Éric Fassin

Dans la série The Proud Family, une collégienne noire est accusée de racisme anti-asiatique. Elle se tourne alors vers ses amis. « Mais les Noirs ne peuvent être racistes, si ? » Ils la rassurent : « Tout à fait, ils ne peuvent pas. Racisme = préjugés + pouvoir. » Cette redéfinition du racisme est aujourd’hui dominante chez les wokes.

Seuls les Blancs pourraient être racistes en Occident car ils seraient les seuls à détenir un pouvoir institutionnel, les seuls à pouvoir transformer leurs préjugés en lois, à pouvoir imprégner la société de leurs biais. Le paradoxe, c’est que la création de The Proud Family, diffusée par l’un des plus grands studios de production du monde (Disney), écrite par deux hommes noirs, dotée d’un casting presque exclusivement noir et d’un scénario entièrement woke, représente précisément l’exercice d’une forme de pouvoir institutionnel.

Troisième piste

Expliquer ce besoin de diaboliser les populations majoritaires est presque d’ordre psychanalytique. Le regretté philosophe britannique Roger Scruton parlait d’« oikophobie » pour décrire le sentiment habitant un nombre croissant d’intellectuels, surtout américains, depuis le début des années 1990. L’oikophobie, selon Scruton, est l’inverse de la xénophobie :

c’est le fait de découper le monde en un « eux » et un « nous » et d’affirmer que le « nous » est, par essence, mauvais. L’intellectuel woke, expliquait-il (sans employer le terme, qui n’existait pas), « souffre d’une oikophobie pathologique. […]

Il se sent étranger à son propre héritage. Il désire être libéré de la pression d’appartenir, d’être avec “nous”, d’aimer quelque chose, de croire en quelque chose. Il dépeint donc sa propre maison comme étant Autre, utilisant pour la décrire des stéréotypes négatifs qui semblent le libérer de toute obligation envers elle». Cette maladie (et son symptôme – le besoin de remplacer « nous » par un stéréotype faux et avilissant) a fait des victimes depuis les Lumières, constate Scruton. Le processus à l’œuvre est identique : le stéréotype permet de transformer “nous” en “eux”, le foyer en étranger, notre civilisation en Autre. » Scruton note notamment que la frange la plus radicale du féminisme moderne semble n’avoir qu’un but : créer et perpétuer un stéréotype négatif de l’homme occidental. « Avec une aigreur exemplaire, la critique féministe passe d’un roman à l’autre, d’un poème à l’autre, pour “prouver” – et de toute manière elle n’accepterait pas d’avoir tort – que tout relève d’un gigantesque complot fomenté par le mâle stéréotypé pour rendre les femmes invisibles. »

src : Wokisme by S Fitoussi

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