L’Imaginaire cinématographique de la menace : L’intelligence artificielle

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Le cinéma peut être considéré comme un moyen légitime pour analyser les sujets d’inquiétude de nos contemporains dans la mesure où il est produit par l’époque à laquelle il appartient.

Nous pouvons accorder au cinéma le pouvoir de révélateur des tensions, des craintes et des contradictions qui composent le débat public auquel les spectateurs participent eux-mêmes.

Ầ travers le cinéma, nous voyons comment l’homme s’insère dans le monde et comment il s’inscrit dans une période historique. Les différentes menaces qui pèsent aujourd’hui sur les sociétés sont prises en charge par le médium cinématographique qui nous en donne une image en correspondance avec le temps présent. C’est le cas de l’intelligence artificielle.

D’une représentation musicale à un reportage télévisé, d’une manipulation par logiciel à la réfection d’une photo abîmée, de la représentation miraculeuse de certains instruments chirurgicaux aux extraordinaires effets spéciaux qui renouvellent le cinéma, nombreux sont les moments où l’émotion que nous ressentons est, en partie, née d’une intervention technologique.

O. Dyens

Mais les manipulations et les innovations qui en résultent éveilleraient aussi, selon O. Dyens, une forme d’effroi : « Et pourtant, nous ressentons une peur profonde ; pourtant, les technologies nous inquiètent, nous troublent ; par elles nous ressentons malaises, angoisses et trahisons. ». Ces malaises que certains de ces films entretiennent sont dus à la suprématie du mécanique sur l’organique et à la dévalorisation de l’humain face à la machine. Les films qui abordent les menaces technologiques sont un moyen d’extrapoler sur les conséquences de la mise en œuvre des ressources de la science et de la technique. Le mythe de Frankenstein est un point de départ de cette longue série d’œuvres de fiction qui au XXe siècle s’en sont nourries et inspirées.

Frankenstein, un mythe pas mité

Ainsi, les conséquences de ces applications concernent l’intelligence artificielle, la robotique, le clonage et la vidéosurveillance, la menace principale en serait un contrôle de l’homme par la machine. Les films du corpus qui traitent le thème de la technoscience sont : Minority Report, Matrix Reloaded, Matrix Revolutions, Terminator 3 : Le Soulèvement des machines, I.Robot, The Island, Terminator Renaissance et Clones.

« Ensemble dans lequel coopèrent institutions, chercheurs et ingénieurs afin de mettre en œuvre, pour des applications précises, les ressources de la science et de la technique ».

Technoscience , par le Larousse.

L’inteligence artificielle

Bien que le terme fût prononcé pour la première fois en 1956, celui définit par M. Letourneux semble la plus adéquate.

«  La notion d’intelligence artificielle” est significative de ce glissement qui s’est produit très tôt entre ce simple calculateur (computer en anglais) qu’est l’ordinateur et cette machine douée d’autonomie, de raison, voire de conscience ou de sentiments qu’il devient très fréquemment dans les fictions qui lui sont consacrées. »

Matthieu Letourneux, « Ordinateur » in Dictionnaire des mythes d’aujourd’hui, op . cit., p. 596.

Sa puissance qui entretient le mystère dont il est l’objet, fait naître un imaginaire dans lequel il intervient comme un être conscient. Dès lors, sa puissance s’allie à son intelligence et permet de construire l’image d’un être omniscient qui peut se retourner contre son concepteur. C’est le cas du film Avengers, l’Ère d’Ultron (2015) .

Ultron était une intelligence artificielle, conçue à l’origine pour faire partie d’un programme de maintien de la paix créé par Tony Stark et Bruce Banner, en utilisant le code déchiffré dérivé de la pierre de l’esprit enfermé dans le sceptre de Loki. On connait tous la suite.

Avengers, l’Ère d’Ultron

Sur ce terreau se développent des peurs irrationnelles liées à la dépendance dans laquelle il nous maintiendrait, face à un réseau d’informations dématérialisées qui se propagent instantanément.

M. Letourneux précise : « Mais son caractère immatériel utopique (c’est-à-dire sans lieu précis) en fait un espace de fantasme : on préfère l’imaginer comme une série de “mondes virtuels” où les participants se rencontrent sous forme d’avatars, représentations animées d’eux-mêmes – et l’on retrouve l’idée de la possession des corps. »

Comme disait quelqu’un on galère tout le temps, mais on ne manque jamais de crédit internet. Parmi tous ces films cités plus haut deux se démarquent du reste; La matrix et Terminator.

Cas de la trilogie Matrix (1999)

Dans Matrix la prise de pouvoir par les machines, le manque d’énergie qui les affaiblit et les rend dépendantes des humains ainsi que la confusion qui règne entre le réel et le virtuel sont les axes autour desquels cette trilogie se construit. Qu’est ce que c’est la matrix??

Matrix – Qu’est-ce que la Matrice ?

La conception de la Matrice par les machines découle directement de leur besoin en énergie qui se révèle donc comme le problème permanent qu’elles ont à résoudre. En cela, elles doivent faire face aux mêmes problèmes de raréfaction des sources d’énergie que les hommes rencontrent. L’univers virtuel qu’elles créent, pour tirer parti d’un accroissement de l’énergie produite par les hommes qui s’épanouissent mentalement dans la Matrice, n’est que le résultat de ce besoin premier.

MATRIX REVOLUTIONS – Bande Annonce Officielle (VF)

C’est donc sur la base d’une menace déjà rencontrée dans les films qui traitent de l’écologie que viennent se surajouter celles liées aux innovations en intelligence artificielle et à la suprématie supposée de l’irréel au détriment du réel du fait du développement des techniques d’information.

Des menaces interfèrent dans ces films et révèlent les craintes plus ou moins explicites qu’éveillent les nombreux discours sur une pénurie probable mais future d’énergie, les peurs latentes qui germent à l’égard des recherches en intelligence artificielle, les inquiétudes que fait naître la place prépondérante accordée à l’image en général par le canal des médias qui fausserait et dénaturerait notre rapport au réel.

La menace première sert de prétexte aux autres, mais celles-ci la recouvrent progressivement car le combat de Néo projette le spectateur dans le monde trouble de la Matrice, à l’intérieur de laquelle les repères disparaissent. L’opacité de cet univers parvient même à faire douter de l’humanité et donc de la réalité du héros. Nous avons donc affaire, dans ces films, à un emboîtement de plusieurs menaces dont les deux dernières sont :

 l’emprise de l’intelligence artificielle et des médias : qui paraissent les plus évidentes, alors qu’en définitive la première ( la pénurie d’énergie) : est la plus cruciale.

MATRIX REVOLUTIONS

illustrées par la scène de combat ci-dessous :

Matrix Révolutions – Extrait – Mr Anderson

En effet, si celle-ci n’est pas surmontée, les machines elles-mêmes ne pourront plus continuer de fonctionner. Cette trilogie de films n’a effectivement pas évincé le problème que poserait pour les machines, leur prise d’autonomie, à savoir trouver et exploiter des sources d’énergie. Leur haut degré d’intelligence ne les libère pas pour autant des contraintes physiques qui rendent nécessaire, pour elles aussi, le recours à un système énergétique pour entretenir leur mode de fonctionnement.

L’utilisation des hommes par les machines comme conducteurs d’énergie révèle l’inversion d’un rapport de forces et une transgression de la frontière qui sépare l’humain de l’artificiel, l’organique du mécanique. L’humain est dégradé et réduit à l’inanimé alors que la machine s’anime au point de prendre conscience de sa toute-puissance. Exploité pour les particularités de son corps biologique, l’humain se voit dépossédé par les machines de son pouvoir d’action. Elles le dominent d’autant plus qu’elles le plongent mentalement dans un univers dépourvu de toute réalité mais qui est devenu, pour lui, son unique réalité.

L’humanité dans Matrix est représentée, hormis le héros et ses alliés, comme privée à la fois de sa liberté d’agir et de sa liberté de penser, dans un état d’esclavage radical. La perte de contrôle de l’humanité sur ses machines et le risque d’esclavage et d’effondrement de la civilisation que cela implique est également le thème de la série Terminator.

Source : Nadine Boudou (Les imaginaires cinématographiques de la menace. Émergence du héros postomodern) , 2012).

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