Axe Lourd : un regard brutaliste sur le cinéma camerounais

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Le dernier long métrage du réalisateur Dr Nkeng Stephens, “Axe Lourd”, ne marque pas certes une nouvelle étape dans le cinéma camerounais. Mais un nouvel ancrage dans le cinéma d’action, surtout en termes d’effets spéciaux. Dès les premières minutes, le ton est donné : violence, tension dramatique, atmosphère pesante. Le film adopte une esthétique proche du cinéma hollywoodien, mais avec une coloration africaine bien affirmée.

Une esthétique brutaliste en image

Ce film s’inscrit dans ce qu’on pourrait appeler l’esthétique du brutalisme, un style né dans l’architecture qui met en avant la dureté, la matière brute, et une certaine froideur. Dans “Axe Lourd”, cette esthétique se traduit par des scènes de violence très marquées, comme celle où Cossuna tue son père ou encore la bagarre dans la prison d’Elijah. Ces scènes rappellent certains films américains sur la criminalité urbaine, où les personnages sont souvent produits d’un environnement dur, sans pitié. Le brutalisme, au-delà de son origine architecturale, a été récupéré dans d’autres formes artistiques, y compris le cinéma. l’écrivain Achille Mbembe y voit une manière héritée de la colonisation de voir le monde : froide, violente, et souvent inhumaine ou une manière de réfléchir par défaut . C’est exactement ce que l’on retrouve dans “Axe Lourd”, à travers des personnages comme Cossuna et Elijah, tous deux marqués par des passés douloureux, ce qui les pousse à la criminalité.

Des effets spéciaux comme affirmation de puissance

“Axe Lourd” s’inscrit aussi dans la mouvance des films à effets spéciaux, ce qui est encore rare ( en termes de réussite) dans le cinéma camerounais. Dr Nkeng Stephens, grâce à son expérience dans les clips musicaux, utilise ici des effets numériques et visuels rappelant les grandes productions. Des exemples comme le “blood effect” (effet de balle aujourd’hui on parle de squib) utilisé dans les scènes de fusillade en brousse montrent cette volonté d’intégrer des codes du cinéma d’action globalisé. Toutefois, ces effets restent dans le style d’utilisation par défaut.

Dans d’autres cultures, les effets spéciaux sont aussi une manière de montrer une forme de domination culturelle : aux États-Unis, ils montrent le rôle du “sauveur du monde” (ex. : Superman, Cyborg), en Asie, ils valorisent des héros d’arts martiaux presque surhumains (ex. : Evil Cut, Storm Riders). Le cinéaste Dr. Nkeng Stephens camerounais, en s’essayant à ces procédés, on y voit aussi le fait de vouloir affirmer aussi sa place dans le jeu mondial des effets spéciaux numériques. Pourquoi cela?

Une vision de réalisateur : Dr Nkeng Stephens

Pour mieux comprendre pourquoi une telle approche filmique, il faut revenir sur la démarche artistique de Dr Nkeng Stephens, un réalisateur connu d’abord pour ses vidéoclips ( Daphné Rastafari). Dès ses premiers clips on voit un style narratif formel, basé sur le “comment” plus que le “quoi” : des transitions stylisées (light leaks), des coupes rapides, une manipulation du temps et de l’espace. ‘est avec la vague des clips comme comme Boobo de Locko ou Good Day de Stanley Enow, qu’on peut dire qu’il bascule pleinement dans les effets spéciaux numériques .

Boobo de Locko : Shallow depth of field

Shallow depth of field

Good day (fire)de Stanley Enow : Fire burn effects dans la scène de célébration d’union des protagonistes Stanley Enow et Muriel Blanche.

Fire burn effects

Avec Axe Lourd, il semble réaliser un vieux rêve : passer du clip à une narration plus longue, plus dense.

Faire un film d’action avec effets spéciaux au Cameroun reste un défi technique et économique. Car ces technologies coûtent cher et demandent du savoir-faire. Pourtant, plusieurs courts métrages comme Run de Rodrigue Fotso ont déjà montré que cela est possible, avec créativité et volonté. Aujourd’hui, avec l’arrivée de l’intelligence artificielle, les effets spéciaux évoluent, parfois au détriment du travail artisanal. Cela pousse certains cinéastes à se recentrer sur les récits locaux, les réalités sociales et communautaires avec de légères touches d’effets spéciaux. Des œuvres comme Fanon, Good bye julia, village next to the paradise ou encore Agents un peu Trop Secrets en sont la preuve.

Axe Lourd est bien plus qu’un film d’action. C’est un manifeste visuel d’un réalisateur qui veut mêler les codes du cinéma mondial ( effets spéciaux ) aux réalités locales. Un projet ambitieux, peut-être brut, mais sincère dans sa volonté de faire avancer le cinéma camerounais.

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