En Afrique, au sud du Sahara, le cinéma en salle est en proie à de nombreuses difficultés liées à la situation économique de la population et à l’avènement des technologies nouvelles. Cet état de fait est général mais, pour certains pays, la guerre et l’insécurité ont constitué des facteurs non négligeables dans la fermeture de ces salles. Ces phénomènes ont non seulement freiné au fil des ans la fréquentation des « salles obscures », mais ils ont également poussé plusieurs exploitants à la faillite tandis que d’autres ont préféré mettre en location ou simplement vendre leurs salles à l’une des nombreuses «Églises du réveil» qui fleurissent partout en Afrique.
Ainsi, de grands immeubles initialement destinés au cinéma ont été transformés en lieux de cultes. Ce phénomène s’est opéré de manière progressive ; les salles ont fermé les unes après les autres. Leur disparition est devenue un phénomène face auquel les professionnels semblaient impuissants et les pouvoirs publics indifférents. Dans certains cas, les Etats ont eux-mêmes pris la décision de liquider ces salles. Quelques exemples et surtout quelques déclarations recueillies en ligne nous permettent d’apprécier les divers aspects de ce phénomène.
I. Benin
Les salles traditionnelles fermées servent désormais à d’autres fins. Elles sont transformées en Temples.
Selon Bérengère LEHA :
« Le ciné Concorde, ciné Le Bénin et le ciné Vog très fréquentés par les Cotonois ne sont que l’ombre d’eux-mêmes aujourd’hui. A l’intérieur du pays, le constat reste le même. Ciné Le Borgou, ciné Iré Akara et autres centres d’attraction pour la cause cinématographique ont fermé leurs portes. A défaut du cinéma, ces salles sont devenues aujourd’hui d’excellents lieux de culte, de spectacles ou encore des éléphants blancs. »
Mais ce qu’il faut souligner concernant le devenir de ces salles et surtout la situation que vivent les membres de l’Association des Cinéastes et Professionnels de l’Audiovisuel du Bénin (ACB), c’est le manque de volonté des pouvoirs publics, leur refus d’accorder une attention particulière au secteur cinématographique déjà en déshérence. C’est l’absence de soutien à ce secteur qui est à l’origine de la mort des salles.
«Notre cinéma n’a plus de maison».
Idrissou Mora Kpaï, (le cinéaste)
En juin 2009, il s’est tenu un forum réunissant les cinéastes béninois autour de ce problème. Au moment où les cinéastes s’interrogeaient sur une stratégie destinée à inverser cette tendance, les autorités ont pris la décision de vendre symboliquement les salles de cinéma fermées pour les destiner à d’autres fins artistiques, ce qui, aux yeux des cinéastes béninois, constitue une forme de bradage culturel. Sur ce même site, nous apprenons que par un document officiel n° 739/10 du 27 mai 2010 , le Ministre d’État chargé de la Prospection, du Développement, de l’Évaluation des Politiques Publiques et de la Coordination de l’Action Gouvernementale, celui de la Culture, de l’Alphabétisation et de la Promotion des Langues Nationales et enfin, celui de l’Économie et des Finances ont décidé de remettre à la disposition de la Fondation ZINSOU , la salle de cinéma « Le Bénin » pour en faire un musée d’exposition des arts contemporains. Cette décision a suscité le mécontentement des cinéastes béninois qui pensent qu’au lieu de liquider les salles de cinéma, les autorités publiques feraient mieux de s’interroger sur ce qui empêche ces salles de rouvrir.
Pour Sourou OKIOH, ancien responsable de la programmation et de la prospection des marchés de films à l’OBECI.
«Si les salles sont fermées aujourd’hui, certainement il devrait y avoir plusieurs raisons. C’est un questionnement dont le ministre devrait personnellement chercher les réponses. Aucun enfant n’accepterait qu’on lui enlève sa mère, puisque ici, les salles sont pour les cinéastes une mère. C’est là où ils projettent leur connaissance, et cette dernière assure un rôle de mère. D’après ce qu’ils disent, d’autres demandes motivées pour faire don des autres salles sont également en cours. A notre humble avis, une des raisons majeures de la fermeture de ces salles est le manque de soutien et de volonté du gouvernement d’accompagner et soutenir véritablement ce secteur agonisant» .
Au Bénin, les Temples sont des lieux de culte reconnaissables grâce aux sculptures de deux éléphants à l'entrée. Ces temples ont une réputation assez étrange à cause de leurs multiples activités possibles (initiation au vaudou, cérémonies d'envoûtement, etc.). C'est à ces sculptures qu'ils doivent cette appellation "d'éléphants blancs".
Au-delà de l’emphase des propos qui peut prêter à sourire, avec cette métaphore des « salles mamelle nourricière» des cinéastes, on pose ici un véritable problème de politique culturelle : en liquidant les salles, on prive les cinéastes béninois d’un outil de diffusion de leurs œuvres auprès du public. Cette déclaration témoigne aussi du manque de concertation avec les créateurs qui a accompagné une telle décision. Malheureusement, dans la plupart des Etats africains, il est rare que les autorités associent la société civile et singulièrement les artistes à leurs prises de décision. En Afrique, la démocratie n’est pas encore arrivée à une telle maturité. Et Sourou OKIOH se demande si :
«Les signataires de cette maudite communication qui n’ont certainement jamais connu la joie d’une soirée cinématographique au ciné Les Cocotiers, au ciné Rex à Porto Novo et au ciné Le Bénin, savent qu’il y a aujourd’hui à travers le Bénin, plus de 1200 points de projection de films en vidéo ? ».
Si on analyse cette prise de position, on voit sur quel argument elle se fonde : il existe un vif attrait pour le cinéma, comme l’atteste la multiplication des écrans de vidéo projection qui permettent aux Béninois de satisfaire leur désir de cinéma, il est donc absurde de prendre la décision de fermer des salles. Cette déduction simpliste doit être fortement nuancée. Certes, cette politique de fermeture des salles signale la passivité et le manque de volonté politique du gouvernement, mais le raisonnement fait l’impasse dans une certaine mesure sur la dimension technologique et économique du phénomène. Pour dire les choses clairement : il est quelque peu abusif de mettre sur le même pied les lieux de vidéo projection et les salles de cinéma. Ces deux types de structures n’ont qu’un point commun : elles projettent des films même si les conditions dans lesquelles ils sont projetés ne sont pas les mêmes. Là s’arrête l’analogie. Il n’existe aucune similarité entre le modèle économique des deux types d’établissements.
II. Burkina Faso
Réputé pour sa Biennale, le pays des hommes intègres ne fait pas exception à la règle. Ses salles se sont transformées en dépôt de marchandises. Un ancien employé du ciné Sagnon s’en explique :
« Depuis un certain temps, aucune salle de cinéma à Bobo-Dioulasso ne fonctionne. Les cinés Sagnon, Houet, Sya et Guimbi sont tous fermés. Le ciné Sya a été vendu à une famille COULIBALY qui a déjà utilisé une partie pour en faire un magasin de stockage d’engins à deux roues (les fameux Jakouta). En fait cela concerne toutes les salles de la SONACIB à travers tout le pays. Le 15 janvier 2004, l’État a décidé de mettre la SONACIB en liquidation administrative. Tout le patrimoine est conservé et les employés ont été dédommagés comme il se doit en attendant de prendre une décision finale. Il a confié le patrimoine de la SONACIB à l’Association des réalisateurs et producteurs de l’audiovisuel (ARPA) pilotée par le cinéaste émérite Idrissa OUEDRAOGO pour une durée de deux ans, au terme de laquelle l’État devrait pouvoir se positionner pour trouver une solution. Pendant la période de gestion, ARPA était exonérée de toutes les taxes sauf le Bureau Burkinabé de Droits d’Auteur (BBDA) qui prélevait ses droits sur les films africains. Après les deux ans d’expérience avec ARPA, l’État a récupéré les salles. Lors du conseil des ministres du 15 février dernier, quitus a été donné au cabinet SOFIDEC de passer à la liquidation judiciaire. C’est pourquoi le cabinet récupère les salles en vue de leurs ventes. Un avis d’offre a même été lancé dans la presse. Et depuis là, les critiques fusent de partout. Des voix se sont élevées pour dire qu’il était anormal de vendre les salles de cinéma….».
III. Au Cameroun
Il ne reste aucune salle aujourd’hui. Selon Ericien Pascal Nguiamba
être fermées sont l’ABBIA et le WOURI, fermées en janvier 2009. À en croire Jonas DOUANLA, ce sont :
- La crise économique,
- L’ouverture de la Cameroun Radio-Télévision (CRTV)
- L’arrivée des chaînes de télévisions européennes par satellite
qui ont affaibli les salles de cinéma. Depuis la fin des années quatre-vingts, les films n’ont plus fait recette. Les sectes ont profité de la faillite des exploitants pour prendre le contrôle de toutes les salles et mener des campagnes de prosélytisme. Désormais, les chaires ont remplacé les écrans dans les salles. Pour résister à cette concurrence, les propriétaires des salles ont d’abord commencé par baisser les prix du ticket en proposant aux spectateurs de voir deux films pour le prix d’un (soit 600 F. CFA au lieu de 500 F). Puis les films indiens produits par Bollywood, les films de karaté et les films pornographiques, très appréciés par les jeunes, ont remplacé les productions hollywoodiennes. Ces tentatives pour sauver les quelques salles qui n’avaient pas fermé ont été vaines. Ces salles sont devenues des lieux de culte ou servent de salles de jeux ou de débit de boisson. À en croire Jonas Douanla :
« Il y a un an, le Concorde était encore un cinéma. L’enseigne témoigne de ce temps aujourd’hui révolu. Elle semble bien modeste comparée à l’immense panneau à la gloire de Jésus Christ qui barre la façade de ce bâtiment de deux étages. De part et d’autre de l’entrée, les programmes du culte par jour de la semaine ont remplacé les affiches des films pornographiques diffusés auparavant à longueur de journée. Dans un autre quartier de Douala, la Sainte église du Christ a pris possession du cinéma Omnisports, depuis septembre 2001. Pourtant chaque dimanche, une petite trentaine de fidèles seulement occupent les premières rangées de cette salle de 600 places aux sièges recouverts de cuir marron. À Bonabéri, dans la banlieue de Douala, le Oneighty (ndlr. One eighty), une secte originaire des États-Unis, a jeté son dévolu sur le Fohato (Cinéma), l’unique salle de cinéma du coin. Le décor a été modifié pour les besoins de la cause : épaisse moquette grise au sol, posters grandeur nature de stars hollywoodiennes sur les murs. Mais à la place des armes, elles portent à la ceinture l’inscription « Holy Bible » (Sainte Bible). Le tout sous- titré de passages bibliques. Pas plus que le Concorde ou l’Omnisports, le cinéma Les Palmiers n’a su résister à l’assaut des sectes. Il a été investi par la Mission d’assistance et de réinsertion des Marginaux (REMAR), auparavant logée dans un modeste deux pièces depuis sa naissance il y a quatre ans. Cette salle vétuste d’un quartier populaire de Douala est devenue un tabernacle, un lieu de culte et de délivrance».
Cette description amusée et amère s’écarte un peu de notre propos : elle met en lumière la théâtralisation du culte, la mise en scène dont il fait l’objet parmi les sectes religieuses. Pour ce qui nous concerne, elle permet de comprendre pourquoi cette curieuse reconversion des salles de cinéma a pu se produire si vite. Notons au passage que les entrées ne sont pas payantes, comme c’est le cas pour le cinéma, mais que l’argent est versé par les fidèles à l’intérieur et sans ticket. Les prix ne sont pas fixés et peuvent varier selon la classe sociale des « spectateurs ». Il s’agit d’offrandes. En un mot, on retrouve ici certaines caractéristiques d’une salle de cinéma à mi-chemin entre office religieux et spectacle. Les « marchands de rêve » ont simplement changé d’activité. On voit que les salles de cinéma qui se ferment en Afrique ont toujours servi à un autre type d’exploitation: qu’il s’agisse d’exploitation religieuse ou commerciale et on comprend facilement que, pour des exploitants aux abois, lorsqu’ils sont propriétaires de leur salle, la perspective d’un loyer mensuel de quelque 400 000 F CFA que les sectes religieuses sont prêtes à payer représente une tentation très forte.
IV. Au Congo Brazzaville
Ancienne capitale de l’Afrique Équatoriale Française (A.E.F), le Congo Brazzaville a été l’un des cinq sièges de la COMACICO et a connu une évolution similaire : l’État n’y a élaboré aucune politique culturelle et est resté, en particulier, indifférent aux problèmes du septième art. En outre, les salles de cinéma ont été victimes des guerres récurrentes qui se sont déroulées dans le pays. Comme en Guinée Conakry, au Niger et en RCA, en dehors du Centre Culturel Français, c’est un désert total. Aucune salle de cinéma n’est opérationnelle. Elles ont été toutes vendues aux Églises du Réveil, ces sectes qui prospèrent un peu partout sur le continent corrélativement à l’augmentation de la misère de la population. Selon Sébastien KAMBA, président de l’association des cinéastes congolais :
Pour ce cinéaste, « le cinéma est une part de l’esprit d’une nation » et doit à ce titre faire partie des préoccupations de l’État. Remarquons au passage l’évolution que révèle cette déclaration si on la rapproche des propos du général Lamizana en 1969 : « Mon peuple a vécu des siècles sans [ces salles] et ne s’en portait pas plus mal ». On pourrait espérer qu’aucun chef d’État africain n’oserait prononcer une telle phrase aujourd’hui. Malheureusement cette lente prise de conscience a du mal à trouver sa concrétisation en termes de soutien à la filière cinématographique dans son ensemble. On n’en voudra pour preuve que ces propos de la découvrir les nouveautés du grand écran. »
« La culture est le cadet des soucis du gouvernement ».
Aimée Mambou GNALI , ministre en charge de la Culture.
Hors contexte, cette déclaration est évidement choquante. Elle dit clairement que la hiérarchie des besoins, pour des pays pauvres, ne permet pas de consacrer l’argent public à la culture.
Part two (semaine prochaine).
source :
Les écrans noirs de N’Djaména: les ciné-clubs comme réponse à la fermeture des salles traditionnelles en Afrique: le cas du Tchad