Fermeture et Destinée des salles de cinéma en Afrique noire : Chapta Two

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Ce deuxième chapitre aborde l’autopsie sur la fermeture des salles de cinéma en Afrique Francophone abordée dans un précédent article. nous examinerons les cas des pays tels Le Congo Brazza, le Gabon, le Mali, Le Sénégal.

I. Au Congo Brazzaville

Ancienne capitale de l’Afrique Équatoriale Française (A.E.F), le Congo Brazzaville a été l’un des cinq sièges de la COMACICO et a connu une évolution similaire : l’État n’y a élaboré aucune politique culturelle et est resté, en particulier, indifférent aux problèmes du septième art. En outre, les salles de cinéma ont été victimes des guerres récurrentes qui se sont déroulées dans le pays. Comme en Guinée Conakry, au Niger et en RCA, en dehors du Centre Culturel Français, c’est un désert total. Aucune salle de cinéma n’est opérationnelle. Elles ont été toutes vendues aux Églises du Réveil, ces sectes qui prospèrent un peu partout sur le continent corrélativement à l’augmentation de la misère de la population. Selon Sébastien KAMBA, président de l’association des cinéastes congolais :

Pour ce cinéaste,

« le cinéma est une part de l’esprit d’une nation »

Sébastien KAMBA

et doit à ce titre faire partie des préoccupations de l’État. Remarquons au passage l’évolution que révèle cette déclaration si on la rapproche des propos du général Lamizana en 1969 : « Mon peuple a vécu des siècles sans [ces salles] et ne s’en portait pas plus mal ». On pourrait espérer qu’aucun chef d’État africain n’oserait prononcer une telle phrase aujourd’hui. Malheureusement cette lente prise de conscience a du mal à trouver sa concrétisation en termes de soutien à la filière cinématographique dans son ensemble. On n’en voudra pour preuve que ces propos de la découvrir les nouveautés du grand écran. »

« La culture est le cadet des soucis du gouvernement ».

Aimée Mambou GNALI , Ministre en charge de la Culture.

Hors contexte, cette déclaration est évidement choquante. Elle dit clairement que la hiérarchie des besoins, pour des pays pauvres, ne permet pas de consacrer l’argent public à la culture.

II. Au Gabon

A Libreville, de nombreuses salles de cinéma ont fermé comme partout ailleurs, avec les mêmes motifs et les mêmes types de reconversion. Et comme on peut le lire dans Gabonews :

Le choix d’une autre salle que l’église pour l’organisation des campagnes d’évangélisation ou des croisades, se justifie par l’étroitesse ou la situation géographique du temple qui n’est toujours pas connu de tous. Dès lors, les salles de cinéma ou de conférences deviennent des lieux appropriés pour attirer le plus grand nombre.

Notons qu’une partie des salles dont il est question étaient situées dans les quartiers populaires – preuve que le cinéma était en passe de devenir une culture de masse – et que les sectes ont pu, avec leur fermeture, trouver à moindre frais une implantation dans ces mêmes quartiers où réside la population qu’elles cherchent spécifiquement à conquérir. La reproduction à l’identique du même schéma dans de nombreux pays d’Afrique de l’Ouest signifie bien que nous sommes en face d’un fait de société.

Ceci ne signifie pas que le public des cinémas se soit volatilisé. Il était déjà segmenté dans la mesure où, nous l’avons dit, toutes les salles n’ont pas le même statut social et économique. La disparition généralisée des salles a conduit à une redistribution que nous aurons l’occasion d’étudier plus en détail au Tchad. Pour simplifier : parmi les spectateurs potentiels, la frange la plus aisée a investi dans des écrans plasma et des lecteurs de DVD, les autres, ont selon le cas, privilégié les diffusions de films par satellite ou ils se sont tournés vers les vidéo-clubs dont le prix d’entrée (50 à 100 F CFA) était attractif.

III. Au Mali

Avec une dizaine de salles en 2001, le cinéma malien est aujourd’hui en difficulté. Dans un document transmis à l’Assemblée nationale, le cinéaste malien Souleymane CISSÉ, Président de l’Union des Créateurs et Entrepreneurs du Cinéma et de l’Audiovisuel de l’Afrique de l’Ouest (UCECAO) a estimé que :

« La liquidation par l’État des salles de cinéma à travers le Mali à partir de 1995 a été la première cause de la destruction du Cinéma au Mali. Aujourd’hui, la distribution en salle est devenue un parcours du combattant, impossible eu égard au vieillissement des équipements. Pire, le développement des lecteurs VCD a éloigné le public de son cinéma. Conséquence, les salles privées ferment les unes après les autres ».

Il ressort de ce constat formulé par un cinéaste, trois causes majeures de disparition des salles au Mali.

La première cause est le manque de considération pour la chose culturelle. Comme au Burkina Faso et au Congo, les autorités maliennes n’ont pas su faire place à la culture et en particulier au cinéma dans leur programme politique. C’est cette raison qui les a conduites à décider de la vente des salles de cinéma.

La seconde raison évoquée par CISSÉ concerne la distribution. Pour maintenir ce marché cinématographique et permettre au public de continuer à regarder les films, les particuliers avaient racheté les salles vendues par l’État et tenté d’investir dans leur exploitation. Malheureusement, les problèmes de distribution les ont lourdement handicapés. La distribution constitue en effet la pierre angulaire de la vie d’une salle de cinéma. Sans approvisionnement en films, c’est-à-dire sans distribution, une salle de cinéma ne peut pas fonctionner. Les raisons de ce manque d’approvisionnement se justifient par la vétusté des équipements de projection. En Afrique noire francophone, les équipements hérités de la colonisation n’ont pas été renouvelés et sont devenus vétustes. Compte tenu de l’âge de ces équipements, les producteurs et les réalisateurs ont eu peur de faire abîmer leurs bobines en les prêtant à ces salles. Cette difficulté de distribution a contribué elle aussi à l’arrêt des salles privées. D’autre part, les coûts de location des films payés avec un CFA dévalué devenaient insupportables.

Enfin, la dernière cause de la fermeture des salles reste technologique et c’est la cause la plus grave pour Souleymane CISSÉ. Le progrès technique a permis de mettre sur le marché des lecteurs/graveurs CD, VCD et DVD qui, non seulement proposent des films aux spectateurs pour des sommes modiques et tuent le cinéma en salle, mais dénaturent la qualité des images et favorisent le piratage. Ils constituent une gangrène pour le cinéma.

Face à cette explication technologique, Abderrahmane Sissoko choisit dans un premier temps de faire porter la responsabilité aux autorités de son pays:

« Il y a une responsabilité que la politique a dans ce désert… un vrai désert de l’image parce que… la disparition des salles de cinéma en Afrique est une situation dramatique. Qu’il y ait plus de cinéma dans la Région Rhône Alpes que dans tout le continent africain».

Mais surtout, il fait une lecture strictement idéologique et incrimine la politique d’ajustement structurel imposée par les organismes internationaux aux pays pauvres. Dans son film « Bamako », il met sous les projecteurs le drame social causé par cette politique. Pour lui, les responsables ce sont :

« La Banque Mondiale et le FMI qui ont imposé…C’est pourquoi, d’ailleurs, au même moment dans tous les pays africains, les salles ont fermé ; on a dit aux Etats qu’il n’était pas de leur responsabilité de s’impliquer dans la culture. Donc on a dit aux états de vendre les salles ; l’état a vendu les salles».

L’explication est simpliste; elle fait l’impasse sur la désertion des salles qui avait déjà commencé et sur le fait que les Etats n’étaient pas partout propriétaires des salles. Poursuivant sa remarque sur la disparition des salles, il dit que : « Dans les années 80, Nouakchott comptait 400 000 habitants et 10 cinémas. Aujourd’hui, alors que la population dépasse le million, plus une salle n’existe » .

C’est ainsi que l’évocation de la salle de ciné El-Mouna réveille en Abdel, un homme d’affaires, les souvenirs d’une belle époque où aller voir un film était un plaisir. Pour lui, c’est peut-être grâce au cinéma qu’il est devenu un homme d’affaires puisque c’est grâce à cette salle que son esprit s’est ouvert.

« Quand j’ai débarqué de la que dans tout le continent africain, c’est là que j’ai vu mon premier film sur grand écran. J’avais l’impression de devenir moderne» disait-il. Cette déclaration vient corroborer celle d’Edouard TREZENEM, chef de service du groupe cinématographique de l’A.E.F. qui disait que

.Le cinéma forme les masses à l’exercice de la pensée, ouvre leur curiosité au-delà de l’univers très limité qui est encore aujourd’hui le leur, les amène à une conception de la vie sociale et économique moderne .

Edouard TREZENEM

C’est le cas de cet homme d’affaires (Armando Soba). Le cinéma lui a permis de sortir de son milieu, de découvrir ce qui n’existait pas dans son village. Comme la télévision, l’écran de cinéma est une fenêtre qui s’est ouverte sur un monde différent du milieu d’où il venait, de son village. Malheureusement, comme toutes les salles de Mauritanie, celle-ci a aussi fermé. Sa vue évoque pour Abdel le souvenir de moments d’émotion, mais en sa qualité d’homme d’affaires, qu’a-t-il fait pour venir en aide à cette salle qui lui a ouvert les yeux ? Cette question pose le problème de l’attachement des spectateurs dans leur ensemble à ces salles traditionnelles. Il est difficilement mesurable: ce sont souvent les cinéastes et quelques journalistes qui se sont élevés contre leur disparition. Le phénomène n’a jamais mobilisé les foules et n’a donné lieu, à notre connaissance, à aucune manifestation publique.

De nos jours, en Afrique, la plupart des jeunes ne connaissent pas les « salles obscures ». Beaucoup sont nés après leur fermeture. Ils ne connaissent le cinéma qu’à travers les ciné- clubs à ciel ouvert. Dans ces établissements, le « rituel » accompagnant les films, comme c’est souvent le cas dans les salles traditionnelles, n’existe plus. Disparue l’obscurité qui se crée en plein jour, ce moment que Mahamat Saleh Haroun qualifie de « magique » et qu’il veut faire connaitre aux jeunes générations. Cela lui semble important en tant que cinéaste, mais est-il certain que sa croisade trouve un écho auprès de ce public qui majoritairement, n’a jamais connu les expériences qu’il évoque ?

IV. Au Sénégal

Le Sénégal comptait le plus grand nombre de salles de cinéma en Afrique noire francophone (56 en 1961 et 87 en 1972). Aujourd’hui, la population dakaroise ne peut plus aller voir un film au cinéma Le Paris alors que « dans les années 1980, on avait l’embarras du choix, rien que dans le centre-ville, il y avait au moins cinq cinémas. Aller voir un film, c’était une belle sortie, on s’habillait bien » , se souvient une journaliste dakaroise. Aujourd’hui, il en est exceptionnelles, le week-end, au Théâtre national Daniel-Sorano » déclare Marianne Meunier. Deuxième ville appartenant au circuit accéléré des films de la SECMA et la COMACICO après Abidjan, Dakar a vu toutes ses salles fermer jusqu’à aujourd’hui.

A la place du Ciné Paris démoli en 2006, s’érige un panneau annonçant la construction d’un hôtel. A El Mansour, dans le quartier populaire de Grand-Dakar, la salle de projection est devenue autrement. Pour les amoureux du septième art, «il ne reste plus que les projections un entrepôt de pièces automobiles et d’objets divers, souligne Le Devoir . Quant aux autres salles, elles ont été fermées bien avant et ont fait place à des supermarchés ou à des immeubles de bureaux. La disparition de ces salles constitue un souci majeur pour les cinéastes qui s’interrogent sur la diffusion de leurs œuvres et peut-être aussi sur le bien-fondé de leur production. Le cinéaste Moussa Sène Absa interpelle à ce propos l’État sénégalais et demande le respect des textes législatifs :

« Il est plus facile de voir mes films à Chicago qu’à Dakar. Le devoir de l’État est de veiller sur sa culture, c’est stipulé dans sa constitution car la culture fait partie de notre base existentielle. En 1974, il y avait 35 salles de cinéma à Dakar et aujourd’hui il n’y en a plus une seule ».

Cette situation pose aussi le problème du respect des textes en Afrique. La plupart des Etats africains votent des textes ou promulguent des lois pour faire plaisir aux institutions internationales, mais elles les respectent rarement. Ces textes, pour des raisons diplomatiques, sont souvent calqués sur un modèle occidental pour faire croire que les gouvernements africains font comme en Occident alors qu’en réalité les textes restent le plus souvent lettre morte.

L’examen de la situation dans les différents pays d’Afrique que nous avons étudiés montre bien une constante: les salles traditionnelles ont toutes ou presque fermé leurs portes. À la lumière de ce qui précède, est-il possible de démêler, dans l’enchaînement chronologique, le poids des différents facteurs qui ont entraîné ces fermetures, étant entendu que l’exploitation du marché cinématographique n’a jamais atteint sa maturité en Afrique noire francophone et qu’elle n’a à aucun moment permis de générer les « remontées » de recettes nécessaires qui auraient permis aux créateurs de réaliser de nouvelles œuvres ?

Il est évident que l’absence d’une politique culturelle et l’impréparation des Etats africains à prendre la relève d’une exploitation commerciale ont fragilisé les premières tentatives d’une exploitation africaine. À cet égard, l’échec d’un circuit de distribution piloté par l’Afrique a constitué un handicap certain. Le défaut de participation de certains Etats à la capitalisation nécessaire à la viabilité du CIDC a constitué un autre obstacle.

L’ajustement structurel imposé par la FMI et la Banque Mondiale a obligé les Etats africains à privatiser ou à vendre certaines structures et les a poussés à choisir d’investir dans certains secteurs « prioritaires » au détriment d’autres comme la culture. La dévaluation du franc CFA a eu des conséquences néfastes pour la filière cinématographique pour au moins deux raisons. D’une part, elle a causé la baisse du pouvoir d’achat des spectateurs qui, ne pouvant plus subvenir à leurs besoins vitaux, ne disposaient plus de ressources pour financer les sorties au cinéma. Ceci a entraîné une baisse de fréquentation des salles et, par conséquent, une chute des recettes et une incapacité des exploitants à honorer leurs charges. D’autre part, cette dévaluation rendait pratiquement impossible la location de films sur le marché international. Un journaliste dakarois fait, sur ce point, un constat qui est valable pour l’ensemble de l’Afrique :

«On s’est fourvoyé avec la Banque mondiale et le Fonds monétaire international, qui ont préconisé une privatisation du cinéma» dans les années 1980, affirme pour sa part le président de l’Association des cinéastes sénégalais, Cheikh Ngaïdo Bâ. «C’est la pire privatisation qu’on ait eue au Sénégal. La société [publique] qui gérait le cinéma faisait des bénéfices de 200 à 800 millions de F CFA [entre 458 000 et 1,8 million de dollars] par an», assure M. Niagane, en référence à l’âge d’or du cinéma, pendant les années Senghor (1960-80) ».

L’arrivée sur le marché de nouvelles technologies (DVD, vidéo-projecteurs, chaînes de télévision) a aussi contribué largement à l’abandon des salles: une nouvelle forme de consommation individuelle s’est instaurée. Grâce aux DVD et à la télévision satellitaire, les spectateurs nantis peuvent regarder les images chez eux. Le phénomène de vidéos-clubs explose avec des prix d’entrée qui sont dix fois moindres que ceux des salles de cinéma et un approvisionnement à bas coût par des exploitants sur des marchés parallèles.

Seule une étude économique fine qui dépasse le cadre de notre travail permettrait d’apprécier le poids respectif de ces facteurs. Une chose est certaine: leur conjonction et leur précipitation – tout s’est passé en dix ans – ont été fatales aux salles africaines. Pourtant la situation laisse entrevoir depuis peu quelques lueurs d’espoir. Des projets de réhabilitation encore isolés, des initiatives sporadiques révèlent une prise de conscience qui se heurte hélas à la dure réalité des comptes d’exploitation.

source : Les écrans noirs de N’Djaména: les ciné-clubs comme réponse à la fermeture des salles traditionnelles en Afrique: le cas du Tchad

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