Le titre, élément stratégique de recettes filmiques

Total
0
Shares

Compte tenu du coût de production relativement élevé d’un film destiné à la commercialisation, il importe, pour rentabiliser l’investissement, qu’un ensemble d’opérations ou d’actions différentes soit mené avant la sortie du film, afin d’inciter le public à consommer massivement le produit. D’où la mobilisation de plusieurs outils ou moyens communicationnels pour assurer une plus grande visibilité du produit. C’est dans ce sens que Stéphane Debenedetti écrit :

« Dans le secteur des industries culturelles […], la promotion recouvre ainsi plusieurs outils de communication assez hétérogènes mais largement complémentaires.»

Stéphane Debenedetti

Et lorsqu’il s’agit davantage d’un film à visée commerciale, la campagne publicitaire devient un impératif. Toutefois, il importe aussi qu’un sérieux travail de mise en forme soit fait sur ces outils promotionnels en vu d’atteindre et de convaincre le plus grand nombre de spectateurs. En effet, comme l’écrit Pierre Sorlin :

« La qualité des annonces publicitaires éclaire le succès ou l’échec d’un produit de consommation courant ».

Les différents canaux de la campagne publicitaire qui retiennent alors notre intérêt sont au nombre de trois : les titres, les affiches et les bandes- annonces. Nous allons nous appesantir sur le titre.

Le nombre des mots qui composent ces différents titres varie entre un et cinq, tandis que le nombre des syllabes oscille entre trois et six. Cette longueur qui est très limitée, semble voulue par les équipes de production et de distribution, afin que le spectateur retienne facilement ces titres. Dans la filière cinématographique donc, la brièveté des titres est motivée par de logiques commerciales. Il faut que le titre en tant qu’énoncé linguistique, puisse être mémorisé par le spectateur. Avec un titre de film aisément mémorisable, le spectateur peut informer ses amis ou ses proches du prochain film qui sera à l’écran, en leur donnant avec précision et sans hésitation le titre dudit film. Un titre court aide à cet effet, à faire la campagne du film à travers le phénomène du bouche à oreille.

I. LE CHOIX DU TITRE

1. LUMUMBA

Il n’est donc pas étonnant que le titre Lumumba comporte un seul mot et trois syllabes. Or, le héros de l’indépendance du Congo avait deux prénoms, à savoir Patrice et Emery. Et comme c’est son histoire qui est par ailleurs contée dans ce film de Raoul Peck, il aurait été normal que son nom et ses prénoms apparaissent sur le titre. Mais ces deux prénoms sont systématiquement supprimés du titre du film. Il y a véritablement une volonté de réduire le titre de ce film à un syntagme nominal. En ajoutant les deux prénoms du personnage central du film au titre, ce dernier aurait été relativement long. Le spectateur aurait eu affaire à une suite de trois noms propres de personne. La capacité de ce titre d’être mémorisé aurait alors diminué. Le producteur et le distributeur du film Lumumba l’ont certainement compris. Aussi, ils ont jugé plus bénéfique de ne laisser que le nom.

Patrice LUMUMBA. [ une Histoire Vraie ]

Par ailleurs, il y a comme une norme qui gouverne les films biographiques s’agissant des titres. D’un côté, les titres ce genre cinématographique ignorent les prénoms de personnalités historiques qui sont mises en scène.

En témoignent les films tels que Van Gohg réalisé par Maurice Pialat en 1991, Nixon en 1995 par Oliver Stone, Lincoln en 2012 par Steven Spielberg et Mandela en 2013 par Justin Chadwick. Les prénoms respectifs Vincent, Richard, Abraham et Nelson n’apparaissent pas sur les titres de ces différents films. De l’autre côté, les titres des biopics laissent apparaître les nom et prénom des personnalités historiques, mais précédés dans la plupart des cas d’un groupe nominal. Ici, on retrouve des films comme La passion de Jeanne d’Arc réalisé en 1928 par Carl Theodor Dreyer, The Strange Death of Adolf Hitler réalisé en 1943 par James Hogan, La vie de Louis Pasteur par John Adolfi en 1935, La vie d’Emile Zola par William Dieterle en 1937. Les équipes de production et de distribution du film Lumumba ont opté pour la première catégorie, c’est-à- dire juste le nom du personnage comme titre. Le spectateur est familier à cette formulation de titre concernant les films biographiques. Ces équipes ont donc tenu à respecter en quelque sorte le contrat cinématographique, au risque de diminuer le nombre de spectateurs. En effet, si le titre s’écarte déjà de l’horizon d’attente du spectateur, ce dernier ne sera pas motivé de parler du film à son entourage et encore moins, d’aller lui-même voir ce film.

2. Hotel Rwanda

Le titre Hôtel Rwanda comporte quant à lui deux mots et quatre syllabes. Par rapport au titre Lumumba, il est aussi relativement court. Les équipes de production et de distribution du film de Terry George l’ont voulu ainsi pour son impact mnémonique très fort. Ce qui justifierait l’absence dans ce titre, d’un déterminant comme « le, la, ou l’ » et d’un génitif de possession introduit par les prépositions « de ou du ».

Hotel Rwanda by Terry George, 2004

En effet, s’il fallait ajouter ces éléments expansifs de la langue française, le titre de ce film serait par exemple L’Hôtel du Rwanda qui est sans doute plus long que le titre définitif, à savoir Hôtel Rwanda. Et s’il fallait prendre comme titre, le nom de l’hôtel où se déroule la grande partie du film de Terry George, on aurait alors eu Hôtel des Mille Collines. Ce qui est un titre encore plus long.

3. Blood Diamond

S’agissant du titre Blood Diamond, il s’apparente au titre Hôtel Rwanda. Tous deux sont composés de deux mots. Et comme le titre Hôtel Rwanda, Blood Diamond est également privé d’un déterminant et d’un génitif de possession. Il faut donc voir aussi dans la concision de ce titre, l’intention pour le producteur et le distributeur, de faciliter la mémorisation par le spectateur à qui est adressé le titre tout comme le contenu diététique du film.

Blood Diamond par Edward Zwick 2007

4. Le Dernier Roi d’Ecosse

Le Dernier Roi d’Ecosse est le plus long des titres du corpus. Il contient cinq mots et six syllabes. Ce titre est certes long, car il pouvait être réduit aux nom et prénom du chef de l’État ougandais, dont l’histoire constitue la trame narrative de ce film de Kevin MacDonald. On aurait ainsi eu des titres plus courts tels Idi Amin ou encore Idi Amin Dada, comme c’est le cas avec Lumumba. Il semble dès lors que le distributeur ne cherchait pas la concision du titre. La question de la mémorisation du titre n’était pas tellement la préoccupation, puisque ce film est une adaptation d’un roman qui porte le même titre, et qui a par ailleurs été un best-seller. Ce que reconnaissent les critiques Emmanuel Hecht et Clara Dupont-Monod. Le premier écrit à ce propos : « Le Dernier Roi d’Ecosse de Kevin Macdonald est inspiré du roman à succès d’un Britannique […] Giles Foden» .

Le Dernier Roi d’Ecosse par Giles Foden 2013

La seconde affirme pour sa part : « À la base, il y a un livre couvert de prix : Le Dernier Roi d’Ecosse de Giles Foden ». Et c’est certainement la raison pour laquelle le distributeur a jugé plus profitable de laisser le film porter le titre du roman, malgré sa longueur relative. Le distributeur français avait la conviction qu’en gardant ce titre, le succès connu en librairie, trouvera son écho dans les salles de cinéma. Les nombreux lecteurs qui ont en effet aimé ce récit littéraire, éprouveront certainement une grande envie d’aller voir le film qui en est issu. Cela ne serait-il pas alors à l’origine de l’importante recette de ce film ? En effet, Le Dernier Roi d’Ecosse a récolté à travers le monde une recette de 49155371 dollars917, soit un bénéfice de 43155371 dollars. Pour des raisons commerciales, il n’était donc pas intelligent de trouver un autre titre à ce film.

II. LA SEMANTIQUE DU TITRE DE FILM

Cependant, au-delà de la longueur des titres qui ont un impact sur la rentabilité des films, la signification des titres repose également sur une logique économique. Aussi,

la sélection des noms, des adjectifs et même des verbes qui doivent servir à la formulation des titres, fait l’objet d’un examen rigoureux dans le marché du cinéma.

P. A Ekoumbamaka

Les noms, les adjectifs et les verbes contenus dans un titre de film, sont souvent lourds de sens pour pouvoir accrocher suffisamment le spectateur.

 Au niveau sémantique, le titre d’un film renvoie à une réalité spécifique. Un film ne se nomme donc pas fortuitement Titanic, Apocalypse Now, Les Ensorceleuses, Mobutu Roi du Zaïre, Le Camp de Thiaroye, La Grande Vadrouille ou encore Chantons sous la pluie.

1.Blood Diamond

L’expression « diamants de sang » circulait donc déjà dans le monde grâce à la médiatisation des guerres civiles menées dans quelques pays du continent africain. Cette expression, qui avait été utilisée pour susciter l’émoi et même l’indignation de la communauté internationale sur les conséquences fâcheuses du commerce des diamants en provenance des pays en guerre, est reprise par la machine à rêves hollywoodienne dans la version anglaise, pour en faire un titre de film.

L’objectif visé à travers le titre Blood Diamond par les équipes de production et de distribution de ce film, était prioritairement commercial.

Pour ces équipes, un titre de film qui évoquait une réalité sociohistorique marquante, était à même d’attirer le plus grand nombre de spectateurs dans les salles. Comme avec Hôtel Rwanda, les titres et les commentaires parus dans les colonnes des journaux avant la sortie du film Blood Diamond, rendent le titre plus clair, afin de pousser massivement les spectateurs à aller voir prochainement ce film. Dans le long article intitulé Blood Diamond : Une grosse production engagée contre le commerce illégal des pierres à des fins guerrières, les critiques Christophe Ayad et Didier Péron écrivent : « Hollywood a longtemps été le meilleur copain des diamantaires. Des Mines du roi Salomon à Breakfastat Tyffany’s, la machine à faire rêver a carburé à l’éclat sans pareil des joyaux convoités. Le diamant était alors objet de tous les désirs. Avec Blood Diamond, qui sort demain, Hollywood change radicalement de registre.»

2. Le Dernier Roi d’Ecosse

Pour ce qui est du titre Le Dernier Roi d’Ecosse, il apparaît à l’examen, que ce titre est également descriptif. Il suggère, d’entrée de jeu au spectateur, un univers d’exercice du pouvoir politique dans un espace géographique donné. Les noms tels que roi et Ecosse sur ce titre, sont là pour l’attester. Mais en réalité, l’exercice du pouvoir politique dont il est question ici, ne concerne pas directement un dirigeant ou un homme politique écossais. En effet, pour ceux qui ont lu le roman à succès de Giles Foden ou qui en ont entendu parler, se souviennent très bien qu’il s’agit du règne de terreur sous Idi Amin Dada, alors que ce dernier était Président de l’Ouganda entre1971 et 1979.

Et pour ceux des spectateurs qui n’ont jamais entendu parler de ce roman ou encore d’Idi Amin Dada, les titres des journaux et les commentaires qui sont parus avant la sortie du film, sont venus les aider à comprendre que Le Dernier Roi d’Ecosse est l’histoire d’un dictateur, et plus précisément celle d’Idi Amin Dada. Aussi, dans son article intitulé Il était une fois Idi Amin Dada, François-Guillaume Lorrain écrit : « Dans un film-fiction, Kevin Macdonald fait revivre le “boucher de l’Afriqueˮ, qui a laissé en Ouganda un souvenir plus contrasté qu’en occident.» Barbara Théate n’est pas éloignée de son confrère François-Guillaume Lorrain. Elle fait bien savoir

au spectateur que le film qui sera prochainement à l’écran, porte sur le dictateur ougandais. Dans son article au titre très évocateur Le tyran aux Oscars, elle peut alors écrire : « Quand il reçoit le roman de Giles Foden Le Dernier Roi d’Ecosse, consacré au célèbre dictateur, Kevin Macdonald se dit qu’il tient ce film sur l’Afrique qu’il veut réaliser depuis longtemps.» Cependant, il est à noter que Le Dernier Roi d’Ecosse qui est le titre qu’a donné Giles Foden à son roman, s’inspire du titre que le Président ougandais s’était lui-même octroyé quand il est arrivé au pouvoir. Par ailleurs, ce n’était pas le seul titre ronflant d’Idi Amin Dada.

Yasmine Youssi le rappelle opportunément à la sortie du film : « Il s’était autoproclamé “Dernier roi d’Ecosseˮ, “Conquérant de l’Empire britanniqueˮ, “Seigneur de toutes les Bêtes de la Terre et des Poissons de la merˮ.»

C’est d’ailleurs sous son deuxième titre – “Conquérant de l’Empire britanniqueˮ – qu’il se présente au journaliste qui l’interviewe. Il semble donc que pour les équipes de production et distribution du film d’Edward Zwick, de tous ces titres dont s’était affublé Idi Amin Dada, « Le Dernier Roi d’Ecosse » était mieux adapté d’une part, pour désigner Idi Amin Dada qui avait beaucoup d’admiration pour l’Ecosse. D’ailleurs, dans la scène de sa première rencontre avec Nicholas Garrigan, le Président ougandais confie au jeune médecin écossais : « Si je n’avais pas été Ougandais, j’aurais été Ecossais.» D’autre part, ce titre met bien en évidence le pouvoir qu’Idi Amin Dada a exercé sans partage, et donc avec abus sur le peuple ougandais. C’est ainsi que le spectateur est par exemple témoin du massacre des prisonniers politiques dans une prison à Kampala, de la torture puis de l’exécution du ministre ougandais de la santé. Le même spectateur assiste à l’expulsion des hommes d’affaires asiatiques du territoire ougandais. Idi Amin Dada prend cette décision sans consulter ses ministres ou proches collaborateurs.

En dehors des titres qui viennent de faire l’objet d’analyse, l’étude des matériels promotionnels entamée, se poursuivra avec les affiches.

Source : Les crises sociopolitiques africaines du XXème siècle au cinéma : Représentations et réception par Paul Aimé EKOUMBAMAKA.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

You May Also Like