Le postmodernisme a enfanté une nouvelle espèce : l’homo numericus. Un être façonné par les écrans, les profils et les avatars. Tout commence dans les années 2000 avec les premières plateformes comme Tchatche.com ou 123love.com, puis s’impose avec l’explosion des réseaux sociaux : Facebook, Instagram, TikTok… Sur le continent africain, cette créature numérique se réinvente sous d’autres noms. Prenez Koulibaly, par exemple qui devient Nina Torres.
Un nom plus doux, plus international, presque héroïque, comme sorti d’un film américain ou d’une telenovela sud-américaine. Ce nouveau costume virtuel permet de se fabriquer une identité idéale : belle, inspirante, confiante… Et parfois, d’endosser des rôles à succès : coach en développement personnel, motivateur, ou même influenceuse. Être influenceuse, c’est justement s’inventer une vie; une vie faite de preuves visuelles. Ce que les Camerounais appellent le “prouving”. Des selfies dans les restos chics, des bouquets de fleurs “offerts par le chéri” (en réalité trouvés sur Pinterest)…
Tout devient signe d’une réussite à montrer.
Le film Nina Torres s’ouvre sur une longue scène de trophées : symboles d’une femme parfaite, gracieuse, riche, et surtout visible. Mais derrière le vernis, la vie réelle est moins lisse : Nina n’est ni épouse, ni sainte, mais une mère célibataire, parfois “tchiza” (deuxième bureau). Le dieu du lisse lui a offert la lumière, mais lui a refusé la stabilité.
Et cette lumière, comme une épée de Damoclès, peut à tout moment se retourner contre elle — surtout dans un monde où tout se filme, tout se commente, tout se juge “sans filtre”. Car dans cette ère du capitalisme visuel, l’image est reine. Comme l’écrit le philosophe Byung-Chul Han, le “lisse” exprime un monde sans résistance : tout doit être clair, rapide, séduisant… mais sans profondeur. Le lisse fascine, oui — par son éclat, ses corps sculptés, ses sourires parfaits, ses “likes” en cascade. Mais il ne raconte rien. Il montre seulement.
Alors, face à nos influenceurs, apprenons à regarder, et non simplement à voir. Car derrière le filtre, il y a souvent une histoire de solitude, de désir de reconnaissance, et d’un monde où tout se joue à la surface.