Le Normandie (Tchad) Un Film de Kyabar O. Defallah

Total
0
Shares

« Le cinéma était quelque chose qui nous unissait. La notion d’ethnie, de tribu, de clan etc. n’existait pas à l’époque. Nous reconnaissions en tout tchadien, l’image d’un frère, d’un compatriote (ndr : le terme compatriote était institué à une époque donnée par le président Tombalbaye et tous les tchadiens devaient s’appeler ainsi). C’est ce qui faisait du Tchad un havre de paix. Le Sara se disait qu’il avait son parent toubou là-bas dans le désert, et le toubou savait qu’il avait son cousin daye au Sud et que le daye était le parent de l’arabe et l’arabe était le parent du massa ainsi de suite… Le pays était notre dynamique à nous tous. Lorsqu’on se dit tchadien, cette identité doit avoir un peu de gorane, du kanembou, de mbaye, de madjingaye, de ngambaye, de mango etc. C’est tout cet ensemble qui fait de soi tchadien. Le cinéma était ce qui forgeait l’amour, l’amitié vis-à-vis de son pays, vis-à-vis du prochain. C’est ce qui forgeait notre unité et notre respect mutuel. Le problème actuel c’est qu’on a des jugements de valeur qui n’ont pas leur place parce qu’on dit souvent en arabe « houman dol » c’est-à-dire « ceux-là ». Mais dès lors qu’on dit « ceux- là » et qu’on est également tchadien, où est-ce qu’on se place ? On fait partie de « ceux-là ».

Kyabar Oumar Defallah

Le cinéma nous conduisait à mener une vie sans tension, à ne pas généraliser les choses quand on a parfois affaire à un individu.

Kyabar Oumar Defallah

La pandémie su la fermeture des salles de Cinéma en Afrique noire dans les années 2000, toucha aussi plusieurs salles de ciné Notamment au Tchad. Seulement une de ces salles a une histoire particulière, elle se nomme Cinéma le Normandie, ceci est son film avec pour acteurs principaux,:

I. Origine

L’implantation des salles était déterminée par des considérations socio-économiques et démographiques liées à la fondation de ces villes, lesquelles constituent, dans leur ensemble, les principales villes du pays. À l’exception de Moundou, de fondation récente, Fort-Lamy ( actuellement N’Djaména), Fort-Archambault et Abéché étaient d’anciens postes coloniaux fondés par les missions françaises en lutte contre le chef guerrier de Rabbah l’implantation de ces postes coloniaux à l’époque avait fait de ces régions des centres importants. On y trouvait déjà, à cette époque, la présence d’une colonie européenne et d’autres étrangers, en particulier des syro-libanais, venus s’installer pour des raisons commerciales, ainsi que d’autres africains, notamment d’anciens tirailleurs sénégalais structures industrielles et commerciales de l’époque, certains autochtones pouvaient s’offrir quelques loisirs en effectuant des sorties cinéma les week-ends. Il existait donc un public potentiel pour les salles de cinéma, tel le Cinéma Normandie.

Elle fut la toute première salle de cinéma au Tchad. Elle fut l’œuvre de la famille syro-libanaise Georges Hamadany qui a voulu créer un cadre de loisir pour les tirailleurs sénégalais revenus de la guerre. Plusieurs raisons peuvent être avancées pour justifier son appellation. En lui donnant le nom de Normandie, ses fondateurs s’inscrivaient dans une démarche doublement symbolique :

  • D’abord, on peut y lire un geste commémoratif attaché au débarquement des troupes en Basse Normandie en 1944 qui devait marquer le début de la victoire ;
  • On peut aussi le rattacher à la construction du paquebot Normandie, le plus rapide et le plus luxueux du monde et, à ce titre, symbole du génie français.

Toutes proportions gardées, en donnant ce nom à la première salle construite au Tchad, la France veut marquer par là un lien symbolique à la puissance de la métropole.

Salle mixte d’une capacité de 700 places, le Normandie, situé à la limite des quartiers européens et africain, non loin de la place de la Nation, était la seule salle fermée qui pouvait programmer jusqu’à trois films par jour. On y projetait des films pour enfants à 10 heures suivis de la seconde projection en début de la soirée à 18 heures et de la soirée à 20 heures. Les autres salles ne programmaient que deux films par jour. Si le Normandie servait de salle de cinéma à l’époque, il abritait également d’autres spectacles comme en témoigne Khayar

« A l’époque quand on était encore jeunes,  tous nos spectacles scolaires (théâtre, sketches, etc.) se déroulaient au cinéma Normandie » .

Oumar Defallah, Conseiller culturel à la primature

Le ciné Normandie a brièvement pris le nom de « cinéma ONCIC) du nom de l’Office National algérien pour le Commerce et l’Industrie Cinématographique. Sa gestion passa ainsi des mains de la famille Hamadany à celles de l’Office. Il fut ensuite vendu à un commerçant libanais. Ce dernier le géra conjointement avec le cinéma Rex jusqu’en 1990, année de sa fermeture et de sa vente à un commerçant tchadien, Ahmed Lamine qui avait voulu, dans le cadre de ses activités commerciales, démolir la salle pour en faire un complexe commercial. Cette décision fut à l’origine des démarches devant aboutir plus tard à son projet de réhabilitation. On voit par là que les changements de propriétaires ou de vocation de cette salle emblématique émeuvent moins que la menace de sa destruction physique. Ceci semble témoigner d’un attachement patrimonial à une architecture porteuse de souvenirs. Aux yeux des tchadiens, y compris ceux qui n’avaient pas connu le Normandie en tant que cinéma, le bâtiment était en quelque sorte considéré comme un « lieu de mémoire ».

Comme au Mali où le chantier de rénovation du ciné « Soudan » est dû à l’initiative d’un cinéaste, au Tchad, le projet de réhabiliter le Normandie s’appuie aussi sur le long travail d’un cinéaste. Il est intéressant de regarder plus en détail le mécanisme qui a conduit à sa mise en route. Avant « Bye bye Africa », le problème de l’absence de cinéma n’était même pas posé. On ne trouve trace d’aucune préoccupation gouvernementale pour cet état de fait et les médias tchadiens ne s’en font pas l’écho. C’est seulement avec chacun des succès internationaux obtenus par l’œuvre cinématographique d’Haroun que la prise de conscience des autorités a progressivement grandi:

  • Dès 1999, dans son premier long métrage « Bye bye Africa », Mahamat Saleh Haroun a posé le problème du cinéma dans son ensemble : manque de structures d’aide à la production, absence de salles de cinéma. Primé à Venise, ce film a porté haut le drapeau du Tchad. Les tchadiens en ont reçu l’écho;
  • En 2002, il fait parler une seconde fois d son pays à l’échelle internationale grâce à son second long métrage « Abouna », sélectionné à la Quinzaine des Réalisateurs au prestigieux Festival de Cannes et primé au Festival Panafricain de Ouagadougou;
  • En 2006, « Daratt » obtient le prix spécial du jury à Venise et gagne l’Etalon de Bronze au FESPACO à Ouagadougou. Le Président de la République demande alors sa diffusion dans sa résidence en présence de tous les membres du gouvernement. C’est le premier déclic suscité par le cinéaste auprès des autorités tchadiennes grâce à sa notoriété. Une prise de conscience est née. L’administration tchadienne se rend compte que le Tchad existe sur la scène cinématographique internationale grâce au succès d’un réalisateur.

son dernier long métrage « Un homme qui crie… » frappe un coup décisif grâce au Prix du jury obtenu à Cannes. Les autorités tchadiennes se mobilisent alors ; le Ministre de la Culture fait le déplacement à Cannes et c’est à juste titre que Mahamat Saleh Haroun dira qu’il a « donné un coup qui a réveillé les morts ».

Derrière l’expression familière s’exprime, une réalité: avant qu’un réalisateur tchadien n’acquière une renommée internationale, le pays dans son ensemble, et les pouvoirs publics en particulier, étaient parfaitement indifférents à la fermeture de tous les cinémas sur le territoire tchadien. Pour Haroun, le cinéma a toujours constitué une préoccupation majeure et ce réveil national est pour lui un sujet de consolation. Rouvrir une salle comme le Normandie restait son souhait le plus cher :

« C’est sans doute un souhait et je suis vraiment content. C’est un vœu. Je meurs d’impatience de voir rouvrir cette salle. Pour ceux qui n’étaient pas là dans les années 75 où j’étais adolescent, il fallait voir le dimanche à 10 heures, les séances qu’on appelait les séances de matinée. [...] Il fallait voir cette avenue Charles de Gaulle. [...], je ne sais pas si les gens connaissent ça maintenant. C’est quelque chose de formidable. Au Normandie, c’était le matin, il fait jour dehors et soudain vous êtes dans le noir et vous n’avez plus la notion de temps. Quand vous sortez vous dites : tient il fait jour. Et c’est cette magie là que les gens ne connaissent pas et ils sont nombreux donc je pense qu’il faut leur montrer ça. Il faut apporter un peu de magie dans cette ville, dans ce pays. Ça me semble important » 

II. Incertitude

En 1990, à la faveur du Programme d’Ajustement Structurel préconisé par la FMI et la Banque Mondiale pour sortir les pays en voie de développement de la crise socio-économique et politique, un accent particulier a été mis sur le secteur privé. Plusieurs Etats africains ont obéi à cette injonction, faisant de la culture le parent pauvre de tous les départements ministériels et le Tchad n’a pas été en reste. Pourtant, aussi paradoxal que cela puisse paraître, c’est également à cette époque que le Tchad a pris l’initiative qui allait à l’encontre de cette politique : lorsque la décision de transformer le Normandie en un complexe commercial avait été connue, des voix s’étaient levées. Cette décision a soulevé des objections au sein du Ministère de la Culture qui n’a pas tardé à se mobiliser pour que Le Normandie reste toujours une salle de cinéma. Il est intéressant de retracer le cheminement de ce dossier tant il est emblématique des processus de prise de décision dans un état comme le Tchad.

A cette époque, Khayar Oumar Defallah occupait le poste de directeur au Ministère de la culture. Il est l’un de ceux qui ont lutté pour la renaissance du Normandie. Voici son témoignage :

« Informé du projet de cet homme d’affaires, j’ai téléphoné au Ministre à l’époque, Mahamat Seid Farah et nous nous étions rendus à son domicile puisque nous le connaissions bien du fait que nous avions grandi ensemble. Nous lui avons dit qu’en tant qu’enfant de N’Djaména, il ne pouvait pas faire cela. Nous avons discuté avec lui et il nous a dit que le bâtiment était à notre disposition et que nous pouvons nous en servir dès que nous l’aurions voulu ». On voit ici un exemple du poids des relations interpersonnelles et de leur imbrication dans des décisions politiques qui, dans d’autres pays, seraient prises à l’issue de réunions techniques, d’expertises, de notes de synthèse rédigées par le cabinet du Ministre. La suite apparaîtra encore plus curieuse à un lecteur européen qui serait tenté d’y voir la trame d’un conte africain.

En effet, l’homme d’affaires qui possédait la salle, « sentant sa fin prochaine, fit venir ses enfants » et leur ordonna de céder l’immeuble à l’Etat quand il leur en ferait la demande. Ces paroles eurent valeur de testament. En Afrique, on respecte les dernières paroles d’un défunt ; elles sont toujours exécutées et on les rappelle souvent à celui qui tente de les violer. C’est ainsi que le Normandie, bien qu’il soit resté fermé pendant une dizaine d’années, n’a pas été transformé en local commercial.

En 1994, est né un groupe pression reunissant directeur de la culture Khayar Oumar Defallah, les cinéastes Mahamat Saleh Haroun et Issa Serge Coelo, le Ministre de la Culture Mahamat Seid Farah et d’autres amoureux du septième art. Pourtant, il ne se passait rien :

« A chaque fois qu’on en parlait, les gens nous traitaient de doux rêveurs mais en réalité, notre objectif était de faire un cinéma qui réponde aux normes ».

Khayar Oumar Defallah

Le  feu de Chef de l’Etat Idriss Deby Itno est alors informé de ce projet et donne son feu vert : « Il nous a répondu positivement et nous a demandé de lui dire ce qu’il devait faire puisque c’est nous qui connaissons la chose. Mahamat Saleh Haroun l’ayant déjà rencontré, nous lui avons simplement dit ceci : Monsieur le Président, nous voulons que cette salle s’ouvre puisque dès lors qu’elle le sera, on parlera autrement du Tchad à l’extérieur. A l’heure actuelle les salles de cinéma se ferment partout en Afrique et nous serons les pionniers en la rouvrant dans l’espoir de voir d’autres salles rouvrir à leur tour ».

III. Rehabilitation

Une première étape venait d’être franchie dans cette lutte pour la réhabilitation. Cette étape n’était que théorique. La seconde phase pratique consistait à engager financièrement les travaux de rénovation. Cela nécessitait un investissement lourd qui n’était pas à la portée des porteurs du projet. Ceux-ci ont contacté dans un premier temps un architecte-urbaniste à l’Agence Tchadienne d’Architecture, d’Urbanisme et de Développement (ATAUD) pour lui poser le problème. Informé de la situation, Roger BORIATA accepta de réaliser gracieusement les études relatives à la nouvelle forme architecturale de l’édifice . Les résultats de ces travaux ont permis d’élaborer la version finale du projet de réhabilitation de la salle du cinéma qui a été validé par le Conseil des Ministres. Le Chef de l’État qui avait déjà été impressionné par les précédentes œuvres de Mahamat Saleh Haroun a suivi avec beaucoup d’intérêt la communication sur le projet et a immédiatement ordonné que des moyens conséquents soient mobilisés pour son exécution.

L’objet des travaux de réfection du bâtiment  étaient que  Le Normadie puisse accueillir environ un millier de spectateurs par séance de projection et soit équipé de matériels cinématographiques modernes et de qualité. Issa Serge Coelo a insisté sur la qualité et sur la modernité de ces équipements :

«Je suis d’ailleurs venu à Paris pour acheter du matériel de projection et moderniser la salle aux normes européennes ».

Khayar Oumar Defallah

« Une promesse qui se réalise. Merci Monsieur le Président de la République pour la réhabilitation du cinéma le Normandie. Copyright [sic] : ceux qui aiment le 7ème art ».

Cinéma Le Normandie rénové by photo Patrick NDILTAH

Dans cette déclaration, plusieurs points retiennent notre attention. Tout d’abord, elle manifeste clairement qu’au Tchad rien ne peut se faire sans la volonté présidentielle. D’autre part, ce message appelle une question simple : qui en est l’auteur ? Aucune mention n’est faite concernant l’identité de ces amoureux du 7ème art. S’agit-il des artistes tchadiens dans leur ensemble ou des cinéastes en particulier? Parle-t-on au nom de toute la population tchadienne, les auteurs du message sont-ils le groupe de personnes qui a lutté pour la rénovation de la salle, ou encore des cinéphiles anonymes? Est-ce sur eux qu’on compte pour faire vivre la salle en suivant le rythme des sorties européennes? Pour l’un des initiateurs du projet, Khayar Oumar Defallah, conseiller culturel à la primature :

« On a la possibilité puisque nous avons chaque jour un avion qui atterrit à N’Djaména. Que ce soit Ethiopian Air Line, Air France ou Afriqyah. Nous avons la possibilité de programmer le samedi, un film qui est en salle un mercredi à Paris si l’on trouve que le film vaut la peine d’être exploité et de le retourner le dimanche ou lundi ».

Khayar Oumar Defallah

Source : Les écrans noirs de N’Djaména : les ciné-clubs comme réponse à la fermeture des salles traditionnelles en Afrique: le cas du Tchad by Patrick Ndiltah

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

You May Also Like