Image filmique des africains dans les crises : le héros

Total
0
Shares
L’image filmique des Africains dans les crises : le héros

Les crises en général demeurent des grands moments de malheur, de terreur et de tristesse. En un mot, elles constituent des tragédies dans un pays ou dans une société. Aussi, toute crise en appelle au héros qui, au milieu de la situation chaotique qui prévaut, s’engage à venir en aide au peuple. Ses actes visent à donner espoir aux victimes, à les mettre à l’abri des forces du mal déchaînées ou encore à changer un ordre social, politique ou religieux établi par ailleurs devenu préjudiciable. En réalité, tout peuple plongé dans une crise, attend impatiemment ou sollicite le secours d’un individu pour éradiquer le mal qui le ronge.

Raison pour laquelle, cette personne qui vient solutionner le problème, est vue par le bénéficiaire comme étant le sauveur. Face donc à une crise quelque soit, le besoin d’un sauveur s’impose. Raoul Girardet écrit justement, s’agissant de cette nécessité du sauveur dans la société moderne en temps de crise :

« Depuis près de deux siècles, l’appel au Sauveur ne cesse en effet de retentir dans notre histoire.»

Raoul Giradet

Au plus fort du génocide rwandais, les populations tutsies demandaient de l’aide à la communauté internationale et même de certains de leurs compatriotes hutus, afin d’arrêter les massacres. Une grande partie de la population sous le régime de Milton Obote en Ouganda, était victime de graves injustices sociales. Aussi souhaitait-elle voir un changement à la tête de l’État. Dans chacune de ces situations malheureuses, il y a effectivement eu des « sauveurs ».

Toutefois, les motivations de ces sauveurs, les principaux bénéficiaires de leurs actes, ainsi que les moyens utilisés par les uns et les autres pour résoudre le problème, font qu’ils se classent en deux groupes : les sauveurs positifs et les sauveurs négatifs. Les premiers sont nommés héros de la normalité et les seconds, héros de l’exception par Raoul Girardet.

Il s’agit, plus concrètement, d’analyser l’image sous laquelle apparaissent les Africains dans le contexte des crises sociopolitiques, à la lumière des deux profils d’héros d’après le répertoire de Raoul Girardet. À partir de la notion de héros telle qu’elle est comprise dans ce travail, il est assez évident que cette notion ne peut être suffisamment éclairée qu’en prenant appui sur le personnage qui est l’élément moteur de tout récit filmique.

En effet, c’est à partir du personnage que tous les autres éléments du film sont conçus et se construisent.

« L’image de l’homme à l’écran apparaît comme un message d’une très grande complexité, dont la capacité sémantique est déterminée par la variété des codes utilisés.»

Pierre Sorlin

Dans cette analyse qui repose sur l’image des Africains, le rapport tant au niveau physique qu’à celui du jeu entre les acteurs choisis et les personnages filmiques qu’ils incarnent, sera fortement interrogé. En effet, ces personnages apparaissent dans un genre cinématographique qui est le biopic défini par Raphaëlle Moine comme : « Un film qui raconte la vie ou un fragment significatif de la vie d’un personnage dont l’existence historique est attestée.»

I. Le héros de la normalité

Ils sont des individus qui se distinguent dans la société en posant des actions louables et détachées de tout égoïsme. Ces actions sont posées en faveur de la multitude des Hommes de leur époque et même parfois des générations futures. En d’autres termes, ce type de héros affiche un profil de grandeur et les actions qu’il pose sont nobles. Aussi, cette catégorie de héros est appelée par Umberto Eco, héros positif qui, d’après l’auteur : « Voue sa vie à pourfendre les forces du mal.»

Les héros de la normalité œuvrent donc essentiellement pour le bien. Ils servent par ailleurs d’exemples à leur semblable, contribuent à penser et à bâtir le monde afin que règne le bien-être. C’est dans ce sens que Thomas Carlyle soutient :

L’Histoire universelle, l’Histoire de ce que l’homme a accompli n’est au fond pas autre chose que l’Histoire des grands hommes qui ont œuvré ici-bas. Ils ont été les conducteurs des hommes, leurs modèles, leurs références et dans une acception plus large du terme, les initiateurs de tout ce que la grande masse des humains s’est efforcée de réaliser ou d’atteindre […] il est juste de considérer que l’âme de toute l’Histoire du monde est l’Histoire de ses héros.

CARLYLE (Thomas), On Heroes, Hero Worship and the Heroic in History, London, J.M Dent & Sons, 1908,

Le cinéaste Raoul Peck le fait clairement ressortir dans son film Lumumba . C’est donc autour de ce personnage que sera analysée la première image des Africains.

Patrice LUMUMBA. [ une Histoire Vraie ]

1. Patrice Lumumba, le libérateur

En ce qui concerne le personnage de Patrice Lumumba comme héros de la normalité dans le film Lumumba, il ne fait aucun doute que Raoul Peck n’a pas inventé cet archétype. En effet, avant même d’être vu à l’écran et associé à l’image d’un héros, ce nationaliste était déjà considéré comme un héros dans la culture historique aussi bien au Congo qu’à l’extérieur. Après sa mort, Patrice Lumumba est élevé au rang des « grands hommes » tant par les articles de journaux que par la création artistique (Aimé Césaire lui a consacré en 1973, une pièce de théâtre intitulée Une saison au Congo. De son côté, le musicien congolais Franco lui a dédié une chanson en 1967, et qui porte un titre assez évocateur : Lumumba, héros national.)

  • Jean-Claude Willame rappelle : « L’ancien Premier ministre y est dépeint comme le “ héros du Congo”, comme un“ saint” et même comme le “ second dieu du monde”.»

À la sortie de Lumumba, la critique ne manque pas à son tour de présenter le nationaliste congolais comme un héros.

Alexis Campion et Brigitte Baudin signent, chacun de son côté, un article intitulé : Lumumba, le héros sacrifié. Dans un entretien, Raoul Peck insiste sur le type de héros qu’est Patrice Lumumba : « Lumumba est un héros positif pour les jeunes.» Comme Malcolm X ou Mandela.»

 Cette reconnaissance de Patrice Lumumba comme héros par Raoul Peck, est encore marquée par le fait que le titre du film porte le nom de ce leader congolais. Mais qu’est-ce qui vaut en réalité à Patrice Lumumba le titre de héros ? C’est le combat sans compromission qu’il a mené pour l’indépendance et son projet très révolutionnaire du développement économique et social du Congo. Au vu donc de son combat politique qui a été hautement bénéfique au peuple congolais, ainsi que de sa capacité à discerner l’avenir en tant que leader, Patrice Lumumba correspond, dans la typologie des sauveurs établie par Raoul Girardet, à Moïse ou l’archétype du prophète. Cet archétype du prophète est aussi attribué à Patrice Lumumba par la critique à la sortie de Lumumba.

Bruno Villien signe ainsi un article qu’il intitule Requiem pour un prophète (In TéléCinéObs, 26 mai 2003).

En effet, l’œuvre de Patrice Lumumba dans l’histoire politique du Congo, s’inscrit en droite ligne avec la mission du prophète Moïse, personnage biblique désigné par Dieu pour aller délivrer le peuple d’Israël prisonnier en Egypte. Sigmund Freud reconnaît ce rôle joué par Moïse. L’auteur écrit : « Derrière le dieu qui a élu les Juifs et les a libérés d’Égypte il y a la personne de Moïse, qui avait précisément accompli cela en affirmant qu’il agissait sur l’ordre de Dieu ».

En tant que leader politique apparu en pleine colonisation belge dans son pays, Patrice Lumumba a eu pour cheval de bataille l’indépendance du Congo. (In Les Inrockuptibles, 23 mai 2000).

Patrice Lumumba parvenait à captiver les foules qui décidaient ensuite de le suivre grâce à la puissance de ses paroles, comme l’ont fait tous les autres prophètes avant lui.

David Van Reybrouck écrit justement à propos de Patrice Lumumba :

« Il avait le don de l’éloquence et de la force de conviction»

David Van Reybrouck

C’est la parole qui est l’arme du héros prophétique. Justement, dans son combat, Patrice Lumumba n’a pas eu besoin d’utiliser la violence physique notamment, ni pour rallier les foules à sa cause, ni même pour contraindre la Belgique à accepter la souveraineté du Congo. La caméra a donc raison de s’accrocher uniquement sur le visage du leader congolais, en gardant dans le hors-champ ses membres supérieurs et inférieurs. À un moment donné même, Patrice Lumumba n’est plus physiquement visible à l’écran. Il n’y a plus que sa voix qui signale sa présence. À la différence de Frantz Fanon qui prônait la violence comme arme de libération des peuples. seuls les mots ont suffi à Patrice Lumumba de mener son combat et de le gagner. C’est ainsi que dans la scène de son arrestation alors qu’il tient un meeting politique, Patrice Lumumba se laisse passer les menottes aux poings par les soldats de l’armée coloniale sans opposer de résistance.

Aussi, Sophie Bonnet écrit à la sortie du film :

« Il s’agit de la vie portée à l’écran de Patrice Lumumba, autodidacte qui devint le leader charismatique du mouvement national congolais pour un Congo libre et uni.»

Sophie Bonnet

Cette caractéristique du héros prophétique qui n’use pas de la force physique pour résoudre les problèmes, a donc emmené le réalisateur Raoul Peck et l’équipe de production, à choisir un acteur qui exhibe le même profil physique que Patrice Lumumba. Ce qui a permis à l’acteur Eriq Ebouaney de décrocher le rôle du leader congolais. Cet acteur présente une ressemblance tant au niveau de la corpulence que du faciès avec Patrice Lumumba. L’acteur Eriq Ebouaney, choisi pour interpréter le personnage Patrice Lumumba, est ainsi taillé sur mesure pour le rôle. Dans le biopic en tant que genre cinématographique, la conformité physique de l’acteur à l’individu réel dont il doit interpréter le rôle s’avère capitale, car l’image dudit individu a été conservée dans la mémoire collective grâce aux archives audiovisuelles, aux documents écrits ou aux témoignages. Cette correspondance physique entre l’acteur et le personnage permet par ailleurs de ressortir le réalisme à l’écran, et ce, pour le grand plaisir du spectateur. Rémi Fontanel écrit à ce propos :

« La fiction impose généralement un acteur dont la mission est de se rapprocher le plus fidèlement possible du modèle (vivant ou mort).»

Rémi Fontanel

Et parfois aussi pour se rapprocher de ce modèle, le corps de l’acteur choisi, est appelé à subir un sérieux travail d’esthétique. (FONTANEL (Rémi), « Préambule : la réalité sera toujours plus captivante… », CinémAction, 2011, n° 139)

II. Le héros de l’exception

À côté des « héros de la normalité », se trouvent des « héros de l’exception ». En effet, les « héros de l’exception » sont l’antithèse des « héros de la normalité », car ce qui compte pour eux, ce sont leurs intérêts personnels. Ils agissent prioritairement pour leur bénéfice. Les « héros de l’exception » ne cherchent pas à défendre ou à protéger les intérêts collectifs. Si au départ le « héros de l’exception » se présente comme un bienfaiteur à travers des idées et des projets pertinents pour sa société, il arrive par la suite qu’il fasse volte-face, et décide alors d’agir en marge du bien. C’est la raison pour laquelle André Reszler l’appelle le « pseudo-héros ». Il vise, écrit l’auteur :

« À promouvoir ses desseins criminels.» il se trouve que des personnages comme Idi Amin Dada et Joseph Désiré Mobutu arborent le titre de « héros de l’exception ».

André Reszler

Aussi, l’analyse entend se pencher sur la mise en scène du personnage Idi Amin Dada, respectivement dans le film Le Dernier Roi d’Ecosse.

Le Dernier roi d’Écosse (Bande annonce Vostfr)

1. Idi Amin Dada : démagogue et dictateur

En considérant la façon dont Idi Amin Dada est arrivé au pouvoir en Ouganda, il est clair qu’il devenait un « héros de l’exception » après son coup d’État qui a renversé Milton Oboté, et l’a porté à la tête de l’Ouganda. C’est en cela qu’Idi Amin Dada diffère de Patrice Lumumba qui a acquis le pouvoir suprême au Congo par la voie des urnes. Sur le terrain de la politique en effet, Raoul Girardet a démontré que le « héros de l’exception » arrive au pouvoir en usant des moyens qui s’écartent de la norme, de l’éthique ou en tout cas, qui sont blâmables. L’auteur souligne : « Le pouvoir suprême, il le conquiert par la force et par le meurtre.»

The Rise Fall Of Idi Amin 1981

Denis Ropa rappelle cette arrivée d’Idi Amin Dada au pouvoir par les armes. L’auteur écrit : « Trois jours plus tard, l’Ouganda tout entier est aux mains d’Idi Amin Dada.» Cette vérité historique n’a pas échappé au réalisateur Kevin MacDonald, C’est ainsi que dès la troisième minute du film, un cortège de plusieurs chars et jeeps occupés par les militaires et vu dans une profondeur de champ moyenne, traverse une campagne de l’Ouganda en avançant vers la caméra restée immobile, comme si elle avait peur d’aller à la rencontre de ce cortège imposant, constitué de nombreux véhicules de guerre et des hommes lourdement armés. D’ailleurs, même le chauffeur du bus qui vient en face et dans lequel se trouvent quelques Ougandais et Ougandaises, mais également le jeune médecin écossais Nicholas Garrigan joué par James McAvoy, ralentit à la vue du cortège, puis se dirige du côté gauche de l’écran afin de laisser passer l’escorte.

Mais jusqu’ici dans cette scène, le spectateur est dans l’ignorance totale, car rien ne lui indique qu’il s’agit d’un coup d’État. Le réalisateur fait donc intervenir la bande-son, et c’est à travers le dialogue entre le docteur Nicholas Garrigan et sa voisine du bus qui est une Ougandaise, que le spectateur est finalement au courant. Nicholas Garrigan, très troublé par ce spectacle inhabituel pour lui, est cadré en gros plan et demande alors à sa voisine : « Pourquoi tous ces soldats ? Qu’est-ce qu’ils font ? » La jeune femme ougandaise, plutôt joyeuse, et qui est aussi cadrée en gros plan répond : « L’armée prend le pouvoir. C’est un coup d’État. »

La réplique de la jeune femme est donnée hors-champ, et pendant ce temps, c’est l’image d’un char en marche et cadré en plan moyen qui occupe l’écran. Kevin MacDonald qui estime que dans cette scène, les informations que donne l’interlocutrice du docteur Nicholas Garrigan au moyen de la bande-son ne suffisent pas, convoque alors la bande-image pour convaincre davantage le spectateur. La bande-image vient ainsi dans cette scène, prêter main-forte à la bande-son. Kevin MacDonald ne partage pas à ce niveau la conception bressonienne du rapport entre l’image et le son au cinéma. Pour Robert Bresson en effet :

« Un son ne doit jamais venir au secours de l’image, ni une image au secours d’un son.»

Robert Bresson

En dépit du fait qu’un coup d’État soit un acte reprochable dans un État moderne tout court, celui réalisé par Idi Amin Dada en Ouganda, a plutôt été vécu comme un acte salvateur par le peuple ougandais notamment. Denis Ropa écrit : « Si invraisemblable que cela puisse paraître, voilà donc le petit mitron de Lugazi devenu le maître de l’Ouganda ! Un maître accueilli en héros partout où il va.»

Ce peuple dont l’existence sous le régime de Milton Obote était pitoyable, attendait impatiemment un homme pour les libérer. C’est pourquoi, lorsque les passagers ougandais qui sont dans le bus voient arriver devant eux le cortège d’Idi Amin Dada, le réalisateur Kevin MacDonald opte pour le regard représenté interne au plan. En effet, ces passagers sont vus en train de regarder Idi Amin Dada, qui lui-même est montré à l’écran. Dans cette scène, l’objet du regard des passagers ougandais ne figure pas hors-champ, car ils ne sont plus à la quête d’un libérateur. Le hors-champ comme lieu d’incertitude et de questionnement, se trouve ainsi aboli par Kevin MacDonald. Il n’y a donc plus d’angoisse. En effet, celui « dont les Ougandais avaient besoin », est désormais là devant eux. Ils l’ont trouvé. C’est la raison pour laquelle la jeune femme ougandaise cadrée en gros plan déclare, toute souriante à Nicholas Garrigan : « C’est le Général Amin. Il se bat pour le peuple. »

Pendant que ces paroles sortent de la bouche de cette jeune femme, les passagers dans le bus sont cadrés en plan d’ensemble qui envahit l’écran. Il devient donc clair d’une part, que la population ougandaise approuve ou encore se réjouit de ce coup d’État. D’autre part, que le nouveau Président vient apporter le bonheur à tous les Ougandais sans exception.

Autrement dit, qu’Idi Amin Dada vient établir un ordre socio-politique meilleur, c’est-à-dire l’intégration définie en politique par Maurice Duverger comme : « Le processus d’unification d’une société, qui tend à en faire une Cité harmonieuse, basée sur un ordre ressenti comme tel par ses membres.» Vivre en paix et dans la prospérité, c’est ce que recherchaient les Ougandais avant l’arrivée d’Idi Amin Dada. Dans ce sens, Maurice Duverger écrit : « Toute société a besoin d’une Terre promise.» Abu Mayanju, témoin de l’arrivée d’Idi Amin Dada à la présidence de l’Ouganda, et qui a par ailleurs servi comme ministre de l’éducation déclare : « Il était très prometteur.» Maggie Kigozi, entrepreneuse ougandaise, se souvient également de l’espoir dont Idi Amin Dada était porteur : « On était très heureux. J’étais à l’université et il y avait des célébrations partout à l’université, car à ce moment, on espérait tous que le changement serait positif.» La caméra sort alors du bus pour se retrouver dans la rue, afin de montrer aussi, toujours en plan d’ensemble, d’autres Ougandais positionnés des deux côtés de la route que suit le cortège.

Toutefois, ils restent tous les deux des héros, en dépit de l’opposition des systèmes de valeur qu’ils incarnent. Et l’auteur d’écrire : « Les références thématiques sont les mêmes, mais leurs tonalités affectives et morales se trouvent soudain inversées.» Avec le post modernisme, un autre concept de héros en afrique lors des crises semble se dessiner à l’écran ! next investigation, stay tuned.

Source : Paul Aimé EKOUMBAMAKA in The African socio-political crises of the 20th century in cinema : representations and reception

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

You May Also Like