Découvrir sa mission, la remplir ou la trahir, telle est la jeunesse de chaque génération. Cette déclaration de Frantz Fanon, résonne avec force dans le récent Biopic de Fanon de Jean-Claude Barny que j’ai eu la chance de voir récemment en Avant première. Ce biopic explore la vie du penseur martiniquais et psychiatre engagé, en mettant en lumière la complexité des identités coloniales à une métaphore centrale : la mangrove.
Dès la scène d’ouverture, le réalisateur nous dévoile une mangrove nourricière du peuple martiniquais. Il nous promène dans l’enfance de Fanon, lors d’une escapade entre enfants dans celle-ci. Cette symbolique n’est pas du fruit du hasard : il symbolise la vitalité et la complexité de la vie dans un environnement hostile. A l’image des racines enchevêtrés de la mangrove, les identités culturelles des peuples colonisés sont mêlées, tiraillées entre traditions, influences extérieures et pertes de repères. Le film présente ainsi un trois volets narratifs interconnectés : inculturation, acculturation, et déculturation. Ces trois termes sont incarnés par la mangrove, espèce hybride entre terre et mer, culture d’origine et culture imposée.
Inculturation : processus par lequel un individu ou un groupe assimile progressivement la culture dans laquelle il est né.
Acculturation : processus d’adoption partielle ou totale d’éléments d’une autre culture, souvent dominante, à travers le contact (pacifique ou conflictuel).Déculturation : Perte partielle ou totale de sa culture d’origine, souvent sous l’effet de pressions, dominations ou interdictions.
Pour FANON, comprendre ces tensions est essentiel : elles forment le cœur de son engagement intellectuel politique.
L’Algérie: espace de lutte et de soi
Si l’ouverture nous ramène à la Martinique, c’est en Algérie que se déroule la majeure partie du film. C’est dans cet environnement que FANON mène son double combat pour la libération des peuples, mais aussi pour la santé mentale des colons et colonisés. A travers son travail en psychiatrie, il tente de créer un espace de réparation, un espace où les traumatismes liés à la colonisation peuvent être exprimés, reconnus et soignés. Fanon y affirme : « Je ne choisis pas mes patients, mais les traite. » Cette phrase résume son approche : Soigner sans hiérarchie de race ou culture. L’hôpital devient ainsi une autre forme de mangrove, un lieu d’interaction entre cultures, d’échange, de survie, et de résistance tant pour oppressants que pour opprimés. Rejeté par certains opprimés, comme en témoigne l’épisode où, alors qu’il tenait un discours sur la peur, on lui jeta une peau de banane. Geste symbolique visant à lui rappeler brutalement la place qu’on voulait lui assigner.
Il faudrait réapprendre à ce peuple et à soi-même les pentes de l’histoire.
Fanon
Par ailleurs, l’admission par Fanon du sergent Rolland, pourtant auteur de crimes contre le peuple de Blida, témoigne une fois de plus de son impartialité.
La mangrove comme matrice de pensée
La métaphore de la mangrove ne s’arrête pas à l’ouverture du film. Elle est omniprésente, jusque dans les espaces de réflexion de FANON :
- Elle se présente face à lui comme un miroir, révélant la complexité des interconnexions culturelles (hôpital de Blida).
- En arrière-plan, ce tableau renvoie à ses origines et incarne la complexité à faire comprendre le discours qu’il développe autour de la décolonisation des mentalités (écriture de son livre).
En flashback, elle représente une identification culturelle (ethnique ou sociale).
C’est ainsi que la mangrove devient un symbole multidimensionnel : connectivité, culture, résilience. Elle illustre la pensée de Fanon, ancrée dans une tension constante entre appartenance et altérité, entre rupture et continuité, entre combat et soins.