Mbouop : Patrimoine Culturel Balengou? (1ère partie)

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Balengou a le privilège de posséder en son sein une belle richesse offerte par la nature, raison pour laquelle le Mbouop fait partie intégrante de la vie de sa population.

Parmi les monts du village Balengou, le plus important est le Pou’mbouop qui signifie littéralement « la forêt au kaolin », est situé à Mbankep au quartier Tchilà. Ce mont héberge en son sein un riche gisement inépuisable de kaolin exploité depuis l’époque de Nandjo le fondateur du village. La mine à kaolin est situé à l’intérieur de la forêt sacrée de Tchilà ce qui fait d’elle aussi un lieu sacré.

Le Pou’mbouop a une hauteur de plus de 1300m et donne une belle vue sur la forêt sacrée lorsqu’on se trouve au sommet.

L’accès au site n’est possible qu’en saison sèche car étant constitué essentiellement de terres argileuses, il se ramollit face au contact de l’eau. Ceci est pareil pour la récolte du Mbouop car le lieu étant inaccessible voire même dangereux. Une autre raison serait dû au fait que la récolte cesse pendant la saison de pluie parce que les femmes s’adonnent à une autre activité . A cet effet, lorsque la fin de la saison sèche approche, les exploitantes extraient une grande quantité de Mbouop qu’elles vont conserver pour l’utiliser et le vendre pendant la saison des pluies.

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L’extraction peut amener les femmes à des dizaines de mètres à l’intérieur du mont, ceci pour le souci de trouver un Mbouop de qualité . Il est à préciser que sur tout le site, toutes les pierres qui s’y trouvent sont utilisables mais ne sont pas de bonne qualité comme celles qui sont extraites à l’intérieur du mont.

Grotte d’extraction au sein du Pou’mbouop

Anthropologie des exploitantes

la tradition orale raconte que c’est parce que c’est une femme qui avait découvert ce lieu et l’a montré à d’autres femmes. C’est ainsi que c’est devenu une affaire de femmes Balengou. L’extraction est restée pour les femmes Balengou car ce fut un autre moyen pour les occuper outre que leur rôle de femmes de foyers. Cette particularité ne s’arrêterait pas à ce niveau car toutes les femmes ne peuvent faire cette récolte. En effet, seule une élite de femmes y est autorisée.

Les critères commencent par l’âge qui se situe à partir de 45ans c’est-à-dire après la ménopause.

La jeune fille vierge est proscrite car la force avec laquelle on extrait le Mbouop manuellement pourrait causer la déchirure de son hymen. Aussi, elle ne pourra pas être enceinte car il existe une ambivalence entre l’extraction du Mbouop et la reproduction humaine.

Les femmes enceintes, les femmes qui sont en période de menstruation et les femmes en deuil sont interdites d’accès dans la grotte dans laquelle se pratique l’activité.

Aussi, il est important de préciser que ces femmes qui recueillent cette pierre font parties d’une élite du village Balengou. Avant de gagner l’accès à la mine, la prétendante doit participer aux réunions de cette élite durant les cinq ans qui précèdent son accès, ensuite, elle est soumise à des rites d’initiations en offrant des poules, des chèvres et une grande quantité d’arbres de paix. Les restrictions d’âge et de genre sont des aspects de la transmission de la connaissance du kaolin par des femmes d’une génération à une autre. En outre, les femmes qui appartiennent à la classe prestigieuse du palais ne sont pas autorisées à extraire le Mbouop.

Aussi, il est important de préciser que ces femmes qui recueillent cette pierre font partie d’une élite du village Balengou. Et avant de gagner l’accès à la mine, la prétendante doit participer aux réunions de cette élite durant les cinq (5) ans qui précèdent son accès, ensuite, elle est soumise à des rites d’initiation en offrant des poules, des chèvres et une grande quantité d’arbres de paix.


Exploitantes au sein du Pou’mbouop

Bien avant, cette ressource était exploitée uniquement par des femmes originaires du quartier Mbankep. Mais de nos jours, le chef aurait réglementé et libéralisé l’exploitation duMbouop pour permettre à toutes les femmes originaires du village Balengou de jouir des revenus de cette richesse naturelle.

Les Rites

Pendant longtemps les monts ont été considérés comme des lieux de refuges notamment pour éviter les razzias ou même ont été utilisés comme position stratégiques pour des batailles guerrières. Ce fut également le cas pour certaines grottes qui servaient de refuges. Tel fut le cas des montagnards du Nord Cameroun : les Kapsiki qui ont vécus dans la hantise des razzias esclavagistes perpétrées par les Peuls. Les nombreux murs de pierre barrant les vallées, témoignent du complexe d’assiéger de ces populations confinées dans leur montagne. Ou encore le cas des peuples Bassa et leur grande relation avec la grotte de Ngog lituba.

On comprend donc pourquoi les peuples ont depuis toujours considérés ces éléments de la nature comme étant des êtres suprêmes qui les protégeaient, souvent même comme des dieux. C’est dans cette optique que de nombreux rites y sont effectués soit pour remercier le lieu pour cette protection ou alors pour demander de nouvelles faveurs.

Ainsi donc, tel est le cas de Balengou avec ces rites qui sont faits sur le site du Pou’mbouop. En effet, des rites y sont faits sur le mont notamment pour remercier le mont pour le Mbouop qu’il offre, pour demander une abondance de kaolin pour les prochaines exploitations et pour un impact plus large, pour demander la protection de tout le village. Par ailleurs, les exploitantes avant d’effectuer tout travail dans la grotte, y font d’abord un rituel. Pour cela, elles auront besoin des poules, chèvres et de l’huile rouge pour le rituel avant toute entrée dans la grotte d’extraction. On rappelle encore que si toute personne entre dans la grotte d’extraction sans effectuer ce rituel, alors, il n’en ressortira jamais vivant.

Pour les exploitantes, le Pou’mbouop est un lieu sacré, mais pour la population du village Balengou, le Mbouop l’est encore plus.

  • Phénomène de « bébé blanc »

Si les femmes enceintes consomment beaucoup de Mbouop pendant leur grossesse, cela n’est pas dû seulement au phénomène de nausées, c’est aussi pour avoir des « bébés blancs ». Cela peut paraître absurde, mais c’est en effet ce qui est dans les mœurs de cette population du Département du Ndé. Selon ces femmes, quand on consomme le Mbouop pendant la grossesse, cela nettoie tout d’abord le ventre, ensuite donne le teint clair à l’enfant.

Cette façon de penser n’est pas vraiment étonnante quand on regarde le teint clair qu’à la majorité des habitants de ce village avec une partie constituée d’albinos. En effet, parmi les albinos du Cameroun,

70% proviennent de l’Ouest du pays, mais aussi à Balengou. C’est ainsi qu’on retrouve dans la dynastie royale Balengou, deux chefs qui ont été albinos notamment le chef Tchapda 7e chef ainsi que son fils le chef Ngongang, le 8e chef de la dynastie.


KOUADJIO Joseph, Connaître le village Balengou et le Département du Ndé,
Première édition, Net Print, 2015, p87

Hors mis de cette partie albinos, de nombreux originaires de Balengou ont un teint très clair.

Dès lors, va-t-on cependant affirmer de façon spéculative que ce phénomène est dû à la consommation du Mbouop pendant la grossesse ? Cela est tout simplement un mythe qui ne peut être vérifié de façon scientifique. En effet, le teint d’un enfant provient des gènes de ses parents ou de ses ascendants. Par contre, le Mbouop ne détient pas de telles propriétés et par conséquent ne saurait donner un teint clair un bébé.

Teint Albinos

le phénomène de Mbouop qui donnerait des « bébés blancs » ne s’arrête pas à la spéculation dans ce village. En effet, un rituel existe pour nettoyer le ventre de la femme enceinte et lui donner un beau bébé.

Le rituel est fait pour nettoyer le bébé de toutes impuretés, mais aussi pour éviter que l’enfant ne sorte de façon prématurée et que la femme ne fasse une fausse couche.

  • Contre la famine

Des fois, la consommation du Mbouop va au-delà de la simple envie, il sauve certaines familles en cas de grandes famines.

A cet effet, certaines femmes mélange le Mbouop avec de la patate bouilli pour manger et d’autres fois, elles mélangent de la poudre de Mbouop à leur poulet et ajoute du sel.


NGAMBOUK Vitalis, « The ‘’Gendered Field’’ of kaolinite clay production: performance characteristics among the Balengou », in Social Analysis, Volume 58, Linnaeus University, Juin 2014, p27

Avec ces différentes mixtures, pas besoin de dépenser de grandes sommes pour satisfaire sa famine.

Peut importe la façon dont ces femmes du village Balengou consomme le Mbouop, elles n’ont jamais rien eu comme problème lié à celui-ci. Nous ne pouvons toujours pas vraiment expliquer ce phénomène plutôt impressionnant surtout quand on sait les ravages d’anémie que le kaolin en général cause sur les femmes enceintes.

  • Rite de veuvage

Souvent appelé Fhog, feuk ou encore fo, il est considéré comme l’ensemble des rites et épreuves auxquels la veuve ou le veuf, suivant le cas, doit passer pour se purifier de la souillure qu’entraine le décès du conjoint.

Tous les matins, durant toute la période du rite, les initiateurs chargés de faire subir les épreuves aux veuves, les enduisent grossièrement le corps avec de la poudre de Mbouop. En effet, les veuves sont recouvertes de Mbouop sur tout le corps même sur leur tête qui a été préalablement rasée. Une fois enduites de cela, elles sont prêtes pour commencer leur journée. A cet effet, elles sont assises à même le sol en rang dans un ordre bien précis :

il y a tout d’abord la première femme du roi qu’il épouse dès le jour d’entrée de son initiation au La’akam, ensuite vient la seconde. Après ces deux femmes là, suivent les autres femmes que le roi a épousé après sa sortie du La’akam toujours par ordre d’arriver au palais mais la dernière veuve assise est celle qui a fait le dernier enfant du Roi. Peut importe son rang d’arriver au palais, elle s’assoie à la dernière place. Devant chaque femme se trouve une calebasse et en un fusil en plus devant la veuve qui a enfanté en dernier. Cette calebasse sert à recueillir les présents que pourront donner les visiteurs qui arriveront.


veuves assises enduites de Mbouop

Celles-ci pratiqueront le même rituel tous les jours jusqu’au moment de la purification c’est-à-dire s’enduire de poudre de Mbouop tous les matins, s’asseoir toute la journée sauf pour aller se mettre à l’aise et se coucher sur des couchettes en feuilles sèches.

On constate donc que le Mbouop détient une grande place dans le rite de veuvage car il intervient du début jusqu’à la fin et détient une place centrale dans le rituel du jugement de la veuve. On pourrait aussi remarquer, la place importante que détient cette argile dans les coutumes Balengou, Bagangté et Baham où les veuves sont enduites de la même façon. Dans la 2ème partie, nous essayerons de répondre à la question posée.

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