Cheveux crépus; de l’anthropologie des pratiques à la représentation

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Cheveux crépus, de l’anthropologie des pratiques à la représentation

Des anthropologues pensent que les cheveux crépus auraient permis à nos ancêtres d’affronter le soleil et la chaleur d’Afrique. En effet, leurs expériences montrent que les cheveux très bouclés agissent comme climatiseur pour la tête et le cerveau.

Le cheveu africain, celui-ci renferme une culture riche, au sens propre, tel que les anthropologues eux-mêmes le définissent, c’est-à-dire l’ensemble des modèles acquis et appris de comportements et de pensées (y compris les rituels, le langage, la mémoire et l’évolution) qui aident un groupe donné à s’adapter à son environnement (Byrd et Tharps, 2014).

On comprend donc à travers cette définition que le cheveu africain est bien une culture. Mais depuis le 16e siècle, avec la découverte du « Nouveau Monde », la mise en esclavage des noires d’Afrique, et le choc des cultures qui en a découlé ont été à l’origine d’une nouvelle échelle de valeurs favorisant le colon européen et de la disparition de cette culture du cheveu africain. C’est ainsi que les caractéristiques physiologiques qui s’éloignent du
type « Blanc », à savoir la peau foncée et le cheveu crépu, ont été associées par les
occidentaux à une infériorité intellectuelle, sociale et morale. À partir de là, des siècles
d’esclavage et de traumatisme loin de leurs terres natales ont réussi à faire rompre tout
lien entre l’Afro-descendante et ses glorieuses pratiques et traditions capillaires
ancestrales. Quelle était la place du cheveu dans l’Afrique précoloniale et en
quoi l’esclavage va-t-il dénaturer le rapport de l’Africain à son cheveu ?

Les anthropologues qui s’intéressent à l’évolution d’Homo sapiens ont longuement étudié notre bipédie ou la structure de notre cerveau. Peu d’entre eux se sont demandé pourquoi nous avons évolué de telle façon que notre corps soit dépourvu de fourrure mais que notre tête soit recouverte de cheveux — des cheveux dont la couleur et la texture sont très variées à travers le globe. Les scientifiques du département d’anthropologie de l’université de Pennsylvanie ont découvert que les cheveux, surtout les cheveux crépus, ont joué un rôle important dans notre évolution en faisant office de climatiseur pour notre tête et notre cerveau.

« Les humains ont évolué en Afrique équatoriale, où le soleil est au-dessus de la tête une grande partie de la journée. Là-bas, le cuir chevelu et le dessus de la tête reçoivent des niveaux plus intenses et constants de radiation solaire sous forme de chaleur. Nous voulions comprendre comment cela a affecté l’évolution de nos cheveux. Nous avons trouvé que les cheveux très bouclés ont permis aux humains de rester au frais », explique Nina Jablonski, scientifique à l’université de Pennsylvanie qui a participé à cette étude parue dans PNAS.

Les cheveux crépus comme avantage évolutif pour les premiers humains

C’est un mannequin thermique, capable de reproduire la température du corps humain, qui a fait office de cobaye pour les expériences. Ce dernier est programmé pour garder une température constante de 35 °C, celle de la surface de la peau. Les scientifiques ont placé plusieurs perruques en cheveux naturels lisses, ondulés ou crépus. Les radiations du soleil ont pris la forme d’une lampe qui chauffe le crâne du mannequin. 

Les résultats montrent que toutes les textures de cheveux forment une protection contre les radiations du soleil, mais que les cheveux crépus offrent la meilleure protection contre ces dernières tout en limitant la production de sueur pour maintenir la tête au frais. Mais les cheveux ne permettent pas juste de protéger des coups de soleil, les scientifiques pensent qu’ils ont eu un impact beaucoup plus profond sur notre évolution.

Le cheveu en Afrique de l’Ouest au début du 15e siècle

Fonction informative et de régulateur social

Au début du l 5e siècle, le cheveu africain avait une fonction informative dans la
majorité des pays del’Afrique de l’Ouest.

Dans les sociétés Wolof, Mendé, Mandingo et Yoruba, le cheveu faisait partie intégrante d’un système de langage complexe. Par exemple, les coiffures servaient à indiquer le statut marital, l’âge, la religion, l’identité ethnique, les origines géographiques, la richesse et le rang des individus dans la communauté

(Byrd et Tharps, 2014).

Il n’était pas rare de pouvoir identifier l’appartenance familiale des personnes rien qu’en observant leur coiffure : en effet, dans plusieurs cultures, chaque clan avait son propre et unique style de coiffure. Le peuple Kuramo du Nigéria était reconnaissable grâce à leur coiffure unique et singulière qui consistait à se raser intégralement la tête en ne laissant qu’une mèche de cheveux au sommet du crâne. Chez les Wolofs au Sénégal, les jeunes filles qui n’étaient pas encore en âge de se marier se rasaient partiellement la tête pour exprimer ce fait.
Une femme récemment séparée de son mari ou veuve ne devait apporter aucun soin à
ses cheveux pendant une période donnée dans le but de repousser les hommes, car une
tête négligée était un anathème pour le sexe opposé dans la plupart des sociétés
africaines.

Traditionnellement, les dirigeants des communautés – hommes comme femmes – étaient davantage mis en valeur par des coiffures plus élaborées et seuls les rois et reines ou l’équivalent pouvaient porter des coiffe-têtes

(Byrd et Tharps, 2014; Morrow, 1973 : 17-22).

Fonction esthétique

Le cheveu africain avait également une visée esthétique tout aussi importante dans
l’Afrique précoloniale. Comme l’écrit l’anthropologue

« west African communities admire a fine head of long, thick haïr on a woman. A woman with long, thick hair demonstrates the life-force, the multiplying power of profusion, prosperity, a ‘green thumb’ for raising bountiful farms and many healthy children »

sierra-léonaise Sylvia Ardyn ·Boone,

Mais la longueur, la brillance et le volume n’étaient pas les seuls critères esthétiques ou cosmétiques recherchés chez les femmes : la propreté et la coquetterie des cheveux et l’élaboration de la coiffure étaient aussi cruciaux pour être attirant pour le sexe opposé. Il était aussi attendu des hommes qu’ils maintiennent leurs cheveux propres et soignés, peu importe leur coiffure.

Fonction spirituelle

Le cheveu comportait aussi une dimension spirituelle dans la plupart des civilisations
africaines. Pour les Yoruba, les cheveux se positionnant au point le plus élevé du corps
humain signifie qu’ils sont le plus proche du divin, du paradis, facilitant ainsi la
communication avec les Dieux et les esprits (Byrd et Tharps, 2014).

À cause de cette croyance, les coiffeurs étaient souvent considérés comme les plus dignes de confiance et détenaient une position privilégiée dans la vie communautaire. C’est aussi pour cette raison que dans certaines cultures, l’on confiait sa tête uniquement à un membre de la famille. En ces temps et jusqu’à aujourd’hui, certains peuples croient aux pouvoirs
surnaturels du cheveu, et de la possibilité de jeter des sorts à une personne lorsqu’on
détient un cheveu lui appartenant.

Pour les Mendé, proposer de coiffer quelqu’un était
une façon d’offrir son amitié à un individu

(Byrd et Tharps, 2014).

Par conséquent le cheveu n’a jamais eu des considérations purement esthétiques pour
les peuples d’Afrique de l’Ouest. Leurs significations spirituelles, sociales et
esthétiques ont toujours fait intrinsèquement partie de leur sentiment d’identité,« de ce
qui fondait l’Être des Africains ou de ce qu’ils voulaient devenir» (Sméralda, 2004 :
75).

C’est pour cela que les significations culturelles et sociales des coiffures africaines
ne devraient pas être ignorées. Le fait que ces rituels et croyances sur le cheveu soient
encore pour la plupart toujours présents dans certaines sociétés africaines traditionnelles contemporaines est la preuve manifeste de la force de ces cultures africaines. Et ce sera justement ce sentiment d’identité que les esclavagistes européens vont tout faire pour supprimer.

Qu’est-ce que les cheveux crépus disent des Noirs, de l’identité noire ?

Synnott (1987) énonce la théorie des pilosités opposées (contraires). Cette théorie sera
mon fil conducteur. J’examinerai également les pratiques et les représentations des cheveux
crépus à partir des notions de souillure et d’ordre (Douglas [1971] 2001, Foucault [1975], Van Gennep [2011]). De même, les notions de stigmate et de racisme permettront sans doute de comprendre les pratiques et les représentations en lien avec les cheveux crépus. Les pratiques capillaires et les représentations peuvent alors se concevoir comme des réactions face à l’oppression, à la discrimination et au racisme : le rejet ou l’adhésion aux valeurs et à l’esthétique (aux esthétiques) des dominants. Enfin, je commenterai les pratiques et les représentations présentées ici.

La théorie des contraires

À propos de la pilosité, Synnott (1987) énonce avec justesse the theory of opposites (en
français, la « théorie des contraires », ou la « théorie des opposés »). Sa théorie prend en compte les populations occidentales du Canada, des États-Unis ainsi que de la Grande-Bretagne, à la fin des années 1980. Il inclut brièvement les Afro-américains et les Juifs. Il résume sa théorie des contraires en trois propositions :

« Opposite sexes have opposite hair, head hair and body hair are opposite, et opposite ideologies have opposite hair »

(Synnott, 1987 : 382).

Ainsi, les sexes, le corps et la tête, et les idéologies contraires ont des pilosités contraires.
Cette complexité et cette subtilité du symbolisme du poil tiennent à deux raisons. D’une part, les poils poussent sur tout le corps. Cependant, seulement trois zones (la tête, la face et le corps) ont une signification sociale. D’autre part, les poils peuvent être modifiés de quatre manières, la longueur, la couleur, le style et la quantité (Ibid.). Ils sont une matière malléable. De plus, les poils coupés repoussent habituellement.

Head hair

Je m’intéresse en particulier aux poils de la première zone, la tête. Il s’agit des cheveux.
La première proposition de Synnott (Ibid.), « opposite sexes have opposite hair », est
particulièrement féconde. Synnott (Ibid. : 383) affirme que les femmes s’identifient plus à leurs cheveux que les hommes : « The belief that “a girl isn’t a girl without her hair” may seem, and may even be, extreme, but surely it could not be said for men ».

Je nuancerai ce propos. Il est vrai qu’un homme chauve reste un homme. Les femmes
s’identifient certes à leurs cheveux, mais cela ne signifie pas que les hommes ne s’identifient pas également à leurs cheveux, même si cela est dans une moindre mesure. J’avance comme hypothèse, que les hommes tiennent à leurs cheveux en tant que symbole de leur jeunesse réelle ou supposée, et en tant que symbole de virilité, à l’exemple de Samson. Ils ont du mal à assumer leur statut d’homme chauve. Ils cherchent souvent des moyens, plus ou moins subtils, de pallier cette déconvenue.

Synnott (1987) développe sa première proposition opposite sexes have opposite hair1 à
propos de la chevelure pour chacune des quatre façons de la modifier. Il s’intéresse ainsi à la
longueur, au style, à la couleur et aux compléments capillaires. Il énonce que pour chacun de
ces quatre types de modifications, the social norms of our society prescribe different behaviour for men and women2 (Ibid. : 384). Les exceptions confirment les normes. Elles sont d’ailleurs souvent en rapport avec la troisième proposition de l’auteur, opposite ideologies have opposite hair3 (Ibid.)

Les crépus – Longueur des cheveux selon le sexe


Les hommes aux cheveux crépus ont-ils tendance à avoir les cheveux plus courts que ceux des femmes ? Je me suis intéressée, pour cette étude de cas, aux coiffures féminines et masculines.

Les hommes avec des dreadlocks sont une exception. Cependant, là encore, certains
hommes, de ce que j’ai pu observer, les coupent régulièrement afin de dégager leurs oreilles et leur nuque.

Sur le terrain camerounais, je constate que presque tous les hommes consultés ont des
cheveux relativement courts. Ils ont soit le crâne rasé, soit les cheveux courts. Ceux qui gardent leurs cheveux crépus adoptent des coiffures comme la « crête » ou la coupe « punk ». Comme je l’ai déjà indiqué, d’une part, ces coiffures atteignent la dizaine de centimètres pour la première et un peu plus pour la seconde, d’autre part, elles laissent à découvert la nuque et les oreilles.

Les femmes sont à l’opposé. Elles ont tendance à adopter des coiffures longues. Ainsi,
une partie infime d’entre elles a les cheveux courts tandis que la majorité présente une longue chevelure. La moitié des femmes consultées, pour l’étude de cas, a une coiffure avec des mèches, par exemple les « piquées-lâchées » ou des « rastas ». Les autres utilisent uniquement leurs propres cheveux. Cependant, ils sont assez longs pour par exemple les natter ou les tresser.
Dans les deux cas, les cheveux atteignent généralement la nuque. Les coiffures avec mèches cachent habituellement les oreilles.

les personnes qui gardent leurs cheveux crépus, la proposition de Synnott (1987 : 382) selon laquelle opposite sexes have opposite hair s’avère une fois de plus exacte. En ce qui concerne leur longueur, les cheveux des hommes et des femmes sont opposés (Synnott, 1987 : 384). Les hommes aux cheveux crépus ont effectivement tendance à avoir les cheveux plus courts que ceux des femmes aux cheveux crépus. Ils sont ainsi dans le même cas que les hommes qui défrisent régulièrement leurs cheveux. Dans les deux cas, la pilosité masculine est opposée à la pilosité féminine.

Tandis que les unes cherchent à obtenir une longue chevelure, surtout lorsque leurs propres cheveux sont courts, les autres cherchent à la raccourcir. Dans un salon de coiffure, l’homme va raccourcir ses cheveux tandis que la femme va les allonger.

Nous avons constaté que les hommes et les femmes gardant leurs cheveux crépus, sur
les deux terrains, se conforment habituellement à la première proposition de Synnott (1987 :
382). En ce qui concerne la première modification possible, la longueur de la chevelure, là
encore, les données de terrain valident l’hypothèse de Synnott selon laquelle « les hommes
tendent à avoir des cheveux plus courts (et moins styliser) que ceux des femmes »
.

https://www.missnappycameroun.escrutin.net/

Au Cameroun, les femmes gardant leur chevelure crépue ont soit une coiffure avec mèche, soit une coiffure avec uniquement leurs cheveux. Quant aux hommes, une moitié a les cheveux rasés ou courts, l’autre a une coiffure avec des cheveux un peu plus longs que la norme. Très peu de répondants (2 sur 178) mentionnent une couleur de cheveux particulière : Joan (29ans, banquière) précise qu’elle porte des mèches noires, et Joachim (25 ans, callboxeur) à la coupe Neymar (sans défrisage), c’est-à-dire une crête blonde. Hormis ce dernier, nous pouvons donc considérer que la presque totalité des hommes et des femmes aux cheveux crépus consultés au Cameroun gardent aussi leur couleur de cheveux ou en adoptent une proche de la leur . L’aspect esthétique est tellement important dans ce processus de retour au naturel qu’il engendre une longue réflexion et remise en question (Diagouraga, 2012 : 88). En effet, arrivées à ce stade, les Afro-Américaines ignorent tout de la manière de prendre soin de leur cheveu crépu naturel et se posent beaucoup de questions : « comment s’en occuper? Est- ce que j’aurais le temps? Quels soins et quels produits utiliser? Est-ce que ça va pousser? Quelle texture de cheveux j’aurais? Est-ce que je serai belle avec ? » Il est ici apparent que ces questions reflètent les préjugés avec lesquels ces femmes ont grandi vis-à-vis du cheveu crépu. Et ce sont la plupart du temps des angoisses liées à la dimension esthétique, notamment sur la longueur, avec l’a priori que le cheveu crépu ne pousse pas et que le résultat ne soit ni beau ni présentable. La crainte du regard et de la réaction des autres, en particulier de leur famille, de leurs amis et de leurs collègues est leur plus grande source d’hésitation (Diagouraga, 2012: 89).

Sources :

https://www.futura-sciences.com/sante/actualites/cheveux-cheveux-crepus-auraient-agi-comme-climatiseur-cerveau-nos-ancetres-105814/

Le cheveu crépu: de l’aliénation à l’émancipation Identitaire. Le cas du mouvement nappy aux états-unis by FATOU DABO

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